Ciel sans étoile (très beau titre au passage) donne l'impression qu'une partie du cinéma allemand d'après-guerre avait plus de recul sur la période éprouvante dont le pays venait tout juste de se défaire qu'une grande partie des productions qui ont fleuri durant les 2 ou 3 dernières décennies. Plus de recul, et fatalement plus de choses intéressantes à raconter. Dans cette optique, Helmut Käutner est un incroyable cinéaste d’abstraction : de la même façon que ses films produits pendant la Seconde Guerre mondiale (Sous les ponts, La Paloma) ignoraient magnifiquement le conflit en cours pour se réfugier dans des romances hors du temps, cette fable romantique étudie l'Allemagne du début des années 50 de la même manière, en prenant cette petite fenêtre temporelle indépendamment de ce qui a précédé. Mieux, à travers le destin d'une ouvrière d'Allemagne de l'Est dont le fils grandit à l'Ouest, de l'autre côté de la frontière ("une frontière qui sépare l'Allemagne de l'Allemagne", comme indiqué à la toute fin), Käutner parvient à faire un constat d'une incroyable lucidité, 6 ans avant la construction du mur de Berlin et 34 ans avant sa démolition.


Les symboles propres aux antagonismes passés sont présents, mais n'apparaissent que très discrètement. C'est une référence à "Adolf" par-ci, un symbole communiste peint sur un mur par-là, et pas grand-chose de plus. Même le personnage identifié comme "le Russe" ne sera pas accompagné d'un quelconque discours politique à son égard. Sur le papier, le cœur de l'intrigue pourrait paraître stéréotypé : Anna, veuve vivant à l'Est, passe régulièrement la frontière pour retrouver son fils élevé par ses grands-parents paternels, et tombera amoureuse de Carl, garde-frontière de l'autre côté. Mais contrairement à la norme en la matière, Anna souhaite ramener son fils de force à l'Est, et non pas passer à l'Ouest pour le rejoindre. Il y a certes le prétexte des parents vieillissants dont elle a la charge et qui ne supporteraient pas l'émigration, mais l'idée reste la même.


Évidemment, le rideau de fer jouera une place centrale dans les déchirements à venir, symbole proéminent de la séparation entre les deux familles, entre les deux amants, et entre la mère et son fils. Käutner se lance à corps perdu, à travers une romance contrariée et toutes ses conséquences, dans une critique de l'impasse politique dans laquelle se trouve son pays au milieu des années 50. Le mélodrame se fait un peu insistant dans ces directions-là, dans l'air du temps de ce qui se faisait dans le registre "tragédie aux gros sabots" de l'époque — même si l'image des deux amoureux stoppés à la frontière dans leur tentative d'évasion reste très belle. Mais ne serait-ce que pour cet incroyable rejet de la thématique de la Seconde Guerre mondiale, Ciel sans étoile se distingue clairement dans la paysage cinématographique allemand.


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Morrinson
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le 13 oct. 2019

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