Cinemania
Cinemania

Documentaire de Angela Christlieb et Stephen Kijak (2002)

Avec les compliments de Cineman

Quiconque fréquente la Cinémathèque ou les festivals de cinéma Parisiens a forcément un jour croisé la route de Plastic man. Je ne sais d’où il tient ce surnom, mais c’est ainsi que tous désignent ce ciné-maniaque aux cheveux gras, qui s’assoit par terre devant le premier rang dans les salles de projection, et qui est toujours équipé de plusieurs sacs plastiques. Le cinéphile ultime, celui pour qui les films passent avant tout autre besoin, c’est pour cela qu’il transporte dans ces sacs sa nourriture, vite fait consommée entre deux séances.
Il y en a pleins, des freaks comme lui, mais il est le plus connu, et a même eu droit à un article dans So film, dans un dossier sur les "rats de cinémathèque", où l'on apprenait qu'il s'appelle Jean-Paul.
Je suis fasciné par ce type de personnage, pour qui la passion a dépassé tout le reste, et dont j’ai encore du mal à comprendre le fonctionnement : comment vit-il, tout simplement ? Qu’en est-il de son logement, ses revenus, … ?
C’est en faisant des recherches à son sujet que je suis tombé sur un forum où l’on évoquait un documentaire diffusé sur Arte, sur ces cinéphages boulimiques : Cinemania.
A défaut de trouver un reportage ou une interview de Plastic man, je me suis lancé dans le visionnage de ce long-métrage.


Il y a cinq intervenants dans ce film, Jack, Bill, Harvey, Eric et Roberta. Ils ont leurs particularités, mais se rejoignent sur de nombreux points. Tous organisent leur vie autour des séances auxquelles ils doivent se rendre, les films passent devant tout le reste, et à la fin d’une séance, ils se précipitent souvent pour aller à la suivante, qui peut être à l’autre coin de la ville (dans le cas présent, New York).
Harvey, Eric et Roberta touchent des allocations pour handicapés (quel est leur handicap ?), mais Jack a hérité d’une tante et n’a pas besoin de travailler pour le restant de ses jours, ce qui lui permet de voir autant de films qu’il veut. Seul Bill travaille, mais là encore dans le seul but de pouvoir aller au cinéma le soir.
Les appartements de chacun sont des taudis, où s’empilent livres, VHS, goodies, catalogues ou… sacs plastiques. Ce qui est compréhensible, car pour eux c’est assurément une perte de temps, comme manger. Si Bill se fait des sandwichs pour la journée, Jack nous apprend qu’il ne mange pas trop de fibres ou de légumes, pour ne pas être obligé d’aller aux toilettes pendant une séance.
Ils font des listes des films qu’ils veulent voir et s’organisent un planning selon les dates de projection. C’est une chose que j’ai fait exceptionnellement quand j’étais au festival de Cannes et ça m’avait pris la tête ; eux, ils le font tout le temps. Jack lui va jusqu’à appeler les cinémas pour connaître la qualité de telle pellicule. Il a le numéro de chaque cabine de projection, et pense acheter un portable afin d’appeler pendant la séance s’il y a un problème.
Le but est à chaque fois d’optimiser le nombre de films qu’ils peuvent voir par jour. Jack parle de cette fois où il en a vu 1000 en 8 mois. Selon lui, c’est à peu près à la même époque que son burn-out.
Et encore, Jack est le plus lucide (et le plus loquace) du lot, il tient des propos plutôt pertinents parfois, et semble être davantage conscient de son problème. Il raconte tout de même qu’avant sa passion du cinéma, il était voyeur…


Bill a comme particularité qu’il a déménagé à New York pour assister à une rétrospective Fassbinder.
Il a pour rituel de se laver et de mettre des vêtements propres avant d’aller au cinéma, puis de nettoyer ses lunettes avant la projection, pour voir le film dans les meilleures conditions.
Un de ses premiers propos dans le documentaire est "Film is a substitute for life, film is a form of living". Je pense que ça en dit long.
Harvey, dans le groupe, c’est celui qui est plus axé vers le bis, alors que les autres parlent de Godard ou de Fellini. Son super-pouvoir, c’est de connaître par cœur la durée des films. Et il chronomètre chaque projection, de sorte à se plaindre si la durée ne correspond pas à celle annoncée (j’ai lu qu’un cinémaniaque parisien faisait la même chose).
Eric est celui que l’on voit le moins dans le documentaire, mais il nous livre très tôt cette réplique marquante : "Film buffs do not socialize, film buffs get together to see movies, they do not get together to have parties, they do not get together to know each other".
Et effectivement, même si les autres intervenants passent du temps ensemble, la conversation en revient sans arrêt à "t’as vu/aimé tel film ?".
Et enfin, il y a Roberta, qui est apparemment la plus connue des cinéphiles de New York. Elle peut se montrer violente, elle a notamment attaqué une ouvreuse du Museum of Modern Arts qui a déchiré son ticket. Roberta a été bannie, mais a déjà essayé de revenir en étant déguisée.


D’un point de vue formel, le documentaire n’est pas intéressant, il n’y a pas vraiment de structure, il y a un grand déséquilibre entre les intervenants, et de nombreux passages traînent en longueur.
Mais comme je l’ai déjà remarqué, il suffit qu’un documentaire ait de bons intervenants pour qu’il soit intéressant.
Concernant Cinemania, en dehors des excentricités de chacun de ces cinéphages, il est intéressant d’observer leur profil.
Deux d’entre eux se refusent à voir des films en VHS, et tous consomment essentiellement les films en salle. On peut se demander pourquoi, à une époque où tout film peut se voir depuis chez soi, d’une façon ou d’une autre (les années 2000, c’était le début du peer-to-peer). Mais les gens interrogés dans ce documentaire ont au moins 35-40 ans, à mon avis ils ne sont pas forcément en phase avec les nouvelles technologies, et restent attachés à l’expérience d’un film en salle. Je me trompe peut-être, mais je pense que notre génération, celle qui a grandi avec internet, n’a pas encore vu naître de pareils monstres. Ca demande des années, pour façonner un être qui abandonne à ce point toute vie normale, j’imagine mal un jeune être aussi aliéné que ces cinémaniaques.
C’est marrant aussi de voir comme ils évoquent régulièrement, d'eux-même, le sexe, ou plutôt son absence. Ça doit leur rester à l’esprit car, d'un point de vue plus large, l'affection, c’est probablement ce qui leur manque le plus ; ils restent humains, après tout. Vers la fin du film, Bill rédige une très longue annonce sur internet pour faire des rencontres. Il évoque également une soirée à laquelle il va se rendre pour voir des femmes, mais il sait que c’est une perte de temps, il doute fortement y trouver des cinéphiles acharnées comme lui. Il rit nerveusement, mais on comprend son désespoir.
Jack fait une remarque maladroitement formulée mais plutôt pertinente, en disant que si l’homosexualité était plus présente dans leur milieu de cinéphiles hardcore, il y aurait plus de gens heureux.


Cinemania a ses bons moments, même si une fois passée la surprise de la découverte du mode de vie de ces gens, il n’y a plus grand chose de nouveau. Mais je m’aperçois qu’aucun d'eux n’égale Plastic man, ou Gérard, le fan de péplums à la chevelure incontrôlable, lui aussi évoqué dans So film. Ils sont encore bien trop cohérents dans leurs propos, pas assez déconnectés de la réalité.
Je me dois d’interviewer Plastic man un jour (d’autant plus que les images de lui sont rares).


Dans mes recherches, je suis aussi tombé sur cet excellent article, qui décrit des cinémaniaques comme Plastic man, et d'autres que je ne connaissais pas :
http://limpossibleblogcine.blogspot.fr/2010/07/guide-du-cinemaniaque-parisien.html


http://www.mediumscreen.com/2015/05/critique-cinemania-dangela-christlieb.html

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le 13 mai 2015

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Wykydtron IV

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