Une Soumission sans nuance
14 février 2015. Valentine’s Day. Une queue allongée au guichet puis une salle de cinéma bondée. Rentrée des foules, des couples surexcités, des jeunes femmes survoltées, quelques ménagères frustrées, et des jeun’s aux aguets venus pour leur trip de l’année. C’est 50 Shades of Grey.
Devant nous, l’attente a un parfum de scandale marketé et les 2h du « lâcher-prise » claironné sur l’affiche du film ne s’assumeront malheureusement jamais.
Parti d’un roman de gare à l’érotisme revendiqué, une fan-fiction ultra consommé, l’adaptation se résume à une reprise romantico-sadomasochiste éculée du couple far Edward et Bella – Les canines en moins, le fouet en plus. Oubliez les suceurs de sang et prenez un Christian Grey riche, ténébreux, sur de lui, et un grain rebelle, et faite le déflorer une jeune femme pure et faussement effarouchée, rajoutez-y succinctement une pincée de porno-chic aux scènes de sexe un peu Olé Olé, et vous obtiendrez la recette de l’année. Une histoire sirupeuse, déniant son sujet.
Universal a réussi son succès planétaire et contrôlé, nous vendre un phénomène en marche, qui n’est pas près de s’essouffler.
Dès la scène d’ouverture, on nous pause le décor, loin d’une mise en scène « art et essai », il ne faut pas rêver, ça n’est pas Bret Easton Ellis qui l’a réalisé.
Le ton est donné, le film prendra l’allure d’une publicité pour Reveal de Calvin Klein, beaucoup trop propre dans sa forme, vide d’inspiration dans son fond.
A la différence des films Shame et Drive pris en référence esthétique totalement assumée par Sam T.J, ici le géant ricain est montré comme suranné. Le scénario nie une quelconque plongée en profondeur sur la quête psychologique du SM, a contrario, le sujet est même survolé par un regard puritain exposant les fantasmes de M. Grey comme celui d’un homme épris de folie, torturé, malade, ne demandant que l’hospice. Manquant de nuance, et d’adrénaline, le scénario n’est jamais en berne, on s’en tient à une romance, et tout avance en crescendo. L’érotisme est presque chaste, et teinté d’hypocrisie. Pour un film se voulant provocateur, on s’y refuse la nudité frontale, et la présence de pilosité. L’émancipation du joli couple dans la salle de jeu est bien trop égarée, et on n’arrive pas à s’affoler devant une relation aussi « contractée » ou il y règle une certaine autorité.
Teinté de références à des films tels que L’affaire Thomas Crown avec l’avion, et 9 semaines ½ avec la mythique scène du glaçon, le film se saupoudre de métaphores à gogo à travers des gros plans et inserts fait sur toute sorte de lien – cordes, nœuds, serviettes – servant sans doute naïvement à appuyer le leitmotiv réel du film, une quête d’amour et de sécurité partagée par le « dominant » et sa « dominé ».
Certes un phénomène d’envie féminine, mais certainement pas une apologie au féminisme, le film est une réelle affaire sexiste étouffée. La femme campe un rôle d’objet assouvissant les moindres désirs fantasmés de l’homme et l’homme en question est un harceleur, possessif et manipulateur. Ne pourrait-on pas y voir ici la démonstration d’un syndrome de Stockholm new generation à la Buffalo 66 ? Mr. Grey en bourreau des cœurs, sadique de la ceinture, Anastasia en captive, victime niaise de son amour abusif. Cruellement, le scandale du film se place dans des images qui se voudraient sulfureuse, alors que le choc s’affiche plutôt dans des propos sous-jacents plus que pernicieux. Point de transgression, plus une régression. C’est l’histoire de l’alchimie la plus malsaine du cinéma Chick Flick, initiée par une amatrice, portée à l’écran par une réalisatrice, pour des lectrices fanatiques. Cocasse.
Loin d’être une merveille du 7ème art. 50 Shades of Grey ne nous fait pas grimper au 7ème ciel. Il ne nous cloue pas au fauteuil, ne nous noue pas l’estomac, ne nous fait pas serrer les dents, ne nous cravache pas l’esprit.
Fin de séance. Loin d’être sa dernière séance. Sur notre palette, aucune nuance, on crie au «safe word » Rouge.
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