Avant et après Citizen Kane

Welles eut le génie en 1941 de faire la synthèse de toutes les écoles de cinéma du monde en un film. Soit, l'école américaine qui était l'art de raconter une histoire (Chaplin), l'école allemande qui était celle de l'éclairage et des ombres (Murnau), et l'école russe qui était celle du montage (Eisenstein). Et ça donné Citizen Kane. Avec la complicité de Gregg Toland, probablement le plus grand directeur photo de l'histoire, Welles a su avec ce film s'imposer comme un réalisateur de puissance. Et à un point tel que William Randolph Hearst, un milliardaire de la presse de cette époque comme il en existe tant aujourd'hui à l'ère du wokisme, c'est senti visé et vu le film comme une critique contre sa personne, de même que les hommes d'affaires Samuel Insull et Harold McCormick, ainsi que par quelques aspects de la vie de Welles lui-même. À sa sortie, Hearst interdit toute mention du film dans tous ses journaux, et parti en chasse contre Welles afin qu'il ne réalise plus rien. Welles dû s'exiler très loin pour financer ses oeuvres cinématographiques et même théâtrales.

Le film en lui-même sépare comment on créait des films avant et comment depuis on en réalise, Citizen Kane étant devenu un point d'orgue, c'est toute la grammaire et la narration du cinéma qui en fut chamboulée. Le cinéma n'a, depuis, plus beaucoup évolué hormis les effets spéciaux et le numérique. Superflus pour le film de Welles. La structure grammaticale d'un film quant à elle a touché avec Kane ces lettres de noblesse comme Hendrix avec la guitare électrique dans le rock. L'histoire racontée est non linéaire et a suscité un montage complexe, notamment à partir d'ellipses exceptionnelles. Et Welles qui est à la fois acteur et réalisateur ajoute à cette oeuvre son côté culte et qui fut nommé par les critiques, les cinéastes et les cinéphiles du monde le plus important film de l'histoire jusqu'en 2012 où il s'est vu détrôné par Sueurs froides d'Alfred Hitchcock. Mais Kane est supérieur puisque Sueur Froide n'a rien révolutionné dans la structure grammaticale majeure d'un film, mais c'est quand même le grand Hitch.

L'histoire quasiment biographique est également remarquable et se démarque de ce qui était raconté à l'époque. Le 30 octobre 1938, Welles créa un canular artistique, intitulé La Guerre des Mondes, qui fit croire à des millions de mes compatriotes d'alors qu'ils étaient en guerre avec les Martiens grâce à une émission de radio trop astucieuse. Ce coup d'éclat rendit célèbre l'auteur. La RKO lui offrit alors un contrat jamais vu, reconnaissant son talent exceptionnel. À son arrivée à Hollywood, au moment où la guerre faisait rage en Europe, le jeune prodige s'exclama en découvrant le studio mis à sa disposition : "C'est le plus beau jouet mécanique qu'un enfant puisse avoir". À seulement vingt-cinq ans, Orson Welles réalisait Citizen Kane.