Avec Nosferatu (2024), Robert Eggers s’attaque à un monument du cinéma d’horreur, un récit dont les déclinaisons successives, de Murnau (1922) à Herzog (1979), ont forgé des jalons artistiques inégalés. Eggers, cinéaste fasciné par l’immersion historique et les atmosphères oppressantes (The Witch, The Lighthouse), semble ici pris entre la nécessité d’honorer ce mythe fondateur et le besoin de le réinventer. Si le film impressionne par son ambition visuelle et la maîtrise de son esthétique gothique, il demeure paradoxalement encastré d’une révérence presque paralysante pour ses illustres prédécesseurs. Eggers, en disciple appliqué, déroule un récit impeccable mais rigide, où l’on peine à retrouver la folie inventive qui faisait la singularité de ses précédents travaux. Cela dit, il est amusant que le père et la fille Depp ont joué dans un film aux célèbres crocs fantasmagoriques.
Chaque image de Nosferatu témoigne de l’attention méticuleuse portée à la composition : la lumière glaciale des Carpathes, les ombres menaçantes d’une Europe puritaine, ou encore les intérieurs étouffants baignés dans des contrastes expressionnistes rappellent autant Murnau que les tableaux de Friedrich ou les gravures infernales de Gustave Doré. Une séquence, en particulier, frappe par son audace : celle où le carrosse vient chercher Thomas dans une forêt enneigée, une vision onirique entre peinture animée et cauchemar spectral. Mais cet éclat visuel se heurte à une narration trop conventionnelle. Eggers applique mécaniquement les codes du genre : de vains jumpscares aux transitions abruptes via les ellipses, il se contente souvent d’imiter là où l’on aurait espéré une réinvention. Si la forme est sublime, le fond reste figé, et l’ennui s’installe à mesure que l’attachement aux personnages s’amenuise.
Le véritable point faible du film réside dans le traitement réservé au vampire lui-même. Si Bill Skarsgård habite une silhouette imposante, Nosferatu reste réduit à une figure spectrale dépourvue de substance émotionnelle, bien loin de la mélancolie tragique qu’Herzog insufflait à son Dracula. Eggers compense en recentrant l’histoire sur Ellen (Lily-Rose Depp), qui prend une dimension inédite dans cette version. Dépeinte comme un personnage complexe en proie à ses désirs refoulés et à la domination patriarcale, Ellen devient l’élément clé d’une fable puritaine cruelle, où le corps féminin, son désir et son tabou culturel sont au cœur du propos. La dernière partie, marquée par une confrontation entre elle et son mari, et sa relation ambiguë avec Nosferatu, déploie un souffle inédit et fascinant. Pourtant, ces promesses ne suffisent pas à compenser la retenue globale du projet. Prisonnier des codes, Eggers livre une œuvre techniquement admirable mais qui ne parvient jamais à transcender le poids écrasant de ses influences.