Wiseman ne capte plus le réel. Quand on pense à Hospital ou Law and Order où tout pouvait arriver. Ou aux interactions extraordinaires de Welfare… Wiseman documentait, à l’affût, à l’écoute.
City Hall est dès le début un film sur des rails qui montre au contraire des hommes parlant devant une audience. Le maire de Boston Marty Walsh ou un membre de son cabinet, présentant par exemple un power point ou débitant des notes lors d‘un meeting à sens unique. On est donc face à une personne préparée, qui s‘appuie sur un texte : un professionnel de la communication. La spontanéité s‘est perdue en route. Il n‘y a plus d’aspérités.
De là, peu de surprises ou d’imprévus. Wiseman semble même avoir recours à un pied - la caméra n’est plus systématiquement portée, signe que ça ronronne. Quand il sort finalement de ce schéma très verrouillé, vers la fin de son documentaire de plus de 4h30, il obtient bien entendu la meilleure scène de son film, celle où la communauté d‘un quartier pauvre (Dorchester) vient à la présentation d‘un magasin de cannabis qui compte ouvrir prochainement et vend son ambitieux business-plan devant plusieurs personnes opposées à l’ouverture de la boutique (la scène rappelle d’ailleurs la meilleure scène du dernier film d‘Hamaguchi, Le mal n‘existe pas).
Jusqu‘ici Wiseman avait presque toujours filmé des institutions en les questionnant, en cherchant dans la coulisse des choses qui posent question, en mettant en dialogue ses scènes les unes avec les autres dans un art du montage qui parlait assez au spectateur pour qu’on puisse se passer d‘une voix off. Oui mais voilà, avec City Hall et déjà Ex-Libris auparavant, Wiseman a clairement une idée derrière la tête qui est de montrer une Amérique qui intègre ses minorités, une Amérique progressiste, qui s‘occupe des personnes âgées, des femmes, une Amérique moderne et démocrate, autant dire un film en forme de résistance à Trump. Et c’est peut-être là, malgré ses nobles intentions, que son cinéma y perd au change. En filmant ses alliés idéologiques, en allant sur un terrain qu‘il connaît plutôt qu‘en cherchant le poil à gratter, notre documentariste en perd sa force vitale. Il affaiblit son cinéma en le livrant aux communicateurs.
Oui : tout est merveilleux à Boston. Les vétérans de guerre sont remarquables, les latinas sont parfaites, Walsh est engagé, au service de la ville où le chômage est le plus bas au monde. Il n’empêche : Wiseman, comme nous, convaincu d’avance, nous livre son documentaire le plus faible. Pas un film qui observe mais une démonstration, des heures durant, qui n‘a pas l‘impacte espérée. J’apprends que c’est le film de sa carrière pour lesquels il aurait accumulé le moins de rush. Ceci confirme cela : il était venu en sachant ce qu’il cherchait. Je m’étais demandé devant Ex-Libris si le film était une commande. Même question ici. Est-ce Wiseman qui a trouvé son sujet ou bien son sujet qui l‘a trouvé ?