Civil War
6.9
Civil War

Film de Alex Garland (2024)

Alors que la carrière de réalisateur d’Alex Garland déclinait irrémédiablement, de l’assez fascinant Ex Machina aux démonstrations poussives de Men, le nouveau virage opéré par Civil War a tout d’une bonne correction de trajectoire. Si le bonhomme s’est toujours intéressé aux limites de l’individu, jusqu’alors sur le terrain de la SF (sur l’IA, les formes mutantes) et des élans monstrueux de la toxicité masculine, son nouvel essai concrétise assez effroyablement le propos, dans une Amérique déchirée par une guerre civile et un contexte de tension qui ne semble malheureusement plus appartenir à l’anticipation inquiète.

Traumatisée par l’assaut du Capitole, l’Amérique n’a pas grand-chose à imaginer pour basculer dans la fiction du chaos : c’est ce que propose Civil War, présenté évidemment, et assez malhonnêtement, comme un blockbuster bourrin dans sa bande-annonce, ce qu’il est dans une certaine mesure, mais auquel il ne se limite heureusement pas.

Le grand mérite de son traitement consiste à délivrer par fragments incomplets un tableau de la situation politique du pays, déjà tellement embourbé dans sa guerre civile qu’on ne semble plus pouvoir délivrer de propos unique et stable sur les tenants et les aboutissants. La confusion du spectateur qui glane çà et là quelques bribes d’informations instaure un climat poisseux qui prend déjà ses distances avec la narration classique, et qui ne quittera jamais vraiment cette odyssée dans un pays dévasté, à la recherche de l’ultime déclaration d’un président sur le point de tomber. Son fascisme autocratique sera certes évoqué, mais il ne s’agira pas, en contrepoint, de présenter l’alliance entre le Texas et la Californie, frères ennemis idéologiques, comme les sauveurs d’un pays qui pourrait par eux retrouver sa grandeur.

Le fait de suivre des journalistes et photographes de guerre ajoute à l’ambiguïté du traitement, leur motivation les présentant surtout comme des charognards se précipitant sur la grande carcasse du pays et le futur cadavre à sa tête. La mise en scène épousera ainsi ce traitement brut et cette immersion sur le terrain, à hauteur d’homme, dans une violence croissante sur laquelle Alex Garland se révèle plutôt à l’aise.

On n’évitera évidemment pas certains attendus venus rassurer les producteurs et leur cahier des charges, sur la bande représentative de toutes les classes d’âge, le récit initiatique à double sens (la photographe chevronnée face à la jeune aux dents longues, qui lui offrira en retour des retrouvailles avec sa féminité) et les discours un peu galvaudés sur la mission du reporter, censé figer l’horreur humaine non par voyeurisme, mais pour qu’elle révolte et n’advienne plus. Garland n’évite pas certains tics comme les freeze frames immortalisant les clichés des personnages, les séquences un peu gratuites de mise en danger de certains protagonistes, la lourdeur symbolique du final et une compilation de musiques tonitruantes qui ne sont pas toujours du meilleur goût.

Mais l’essentiel n’est pas là : Civil War parvient, malgré ces scories, à ne jamais débarrasser le spectateur du désespoir abattu sur un pays qui s’est toujours considéré comme à la tête du monde libre. La légende forgée par les personnages et l’accomplissement de la quête n’y feront rien. C’est dans les rencontres qui ponctuent le parcours que se joue l’essentiel, par un habile jeu de contraste, dans une Amérique soi-disant préservée qui joue encore le jeu d’une vie normale, un duel de snipers qui renverrait presque à du Becket et le cœur du film, cette rencontre avec un Jesse Plemons au sommet de son art, dans une barbarie calme et sûre d’elle, qui restitue avec un effroi lucide l’air du temps. What kind of american are you ? demande cet homme qui, sans qu’on sache ce qu’il attend, vous fait comprendre que la réponse décidera de votre sort : cette absurdité dénuée de tout repère idéologique concret, cette perte du sens et de l’unité est le miroir effaré offert à un pays – et, en réalité, toute la civilisation humaine sur le point de basculer dans le charnier qui jouxte l’individu à qui on se doit de répondre.

Sergent_Pepper
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le 17 avr. 2024

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