Si Civil War a une qualité, c'est bien celle de l'ambition. Dans le contexte politique américain que l'on ne connait que trop bien, proposer un film d'anticipation prophétisant la survenue d'une guerre civile aux Etats-Unis est audacieux. Vouloir articuler le fond et la forme en le traitant, par bien des aspects, comme une succession de photographies, est novateur. Si on y ajoute un casting convaincant et quelques scènes de dialogues particulièrement bien écrites, le film avait tout pour marquer la décennie. Vous me voyez venir... il y a un "mais". Pour moi, le film n'est pas à la hauteur de ses ambitions.
Qu'on ne se trompe pas, j'ai passé un bon moment et j'ai même été happée par certains passages (la scène de dialogue au bord d'une fosse commune est une des meilleures que j'ai vu ces dernières années). Malheureusement, j'ai eu l'impression que le film ne traitait pas véritablement de son sujet. Civil War est son titre, mais ce n'est pas son sujet. Il traite des reporters de guerre, de la transmission entre générations, du rapport entre information et voyeurisme et de plein d'autres choses, mais pas de la guerre civile. La guerre civile est une toile de fond, un arrière-plan dans tous les sens du terme. Je me suis faite la réflexion que l'histoire aurait pu se passer en Irak, en Ukraine ou en Afghanistan avec les mêmes personnages, les mêmes enjeux et (presque) les mêmes scènes et dialogues. Cela n'aurait pas fondamentalement changé le film. Le décor oui, peut-être, mais pas l'histoire. Or, ce décor d'Amérique post-apocalyptique a été vu et revu tant de fois que cela n'apporte au final pas grand chose de nouveau (qu'on songe à tous les films et séries de zombies par exemple, avec leurs décors de parking, de supermarchés et d'hélicoptères abandonnés et tous ces antagonistes suprémacistes surarmés).
Le choix scénaristique de ne pas parler des raisons de la guerre civile peut se comprendre de deux manières : d'une part rester volontairement au niveau des protagonistes, d'autre part, éviter de se mouiller en portant une accusation trop nette contre l'un ou l'autre des partis politiques américains (les Républicains on ne va pas se mentir...) Je peux comprendre ces choix, mais je trouve que cela vient rabaisser toute l'ambition de départ. Des reporters de guerre américains il y en a. Leurs états d'âme ont déjà été traités par de nombreux documentaires et films. Il fallait donc montrer quelque chose de nouveau : comment couvre-t-on une guerre civile dans son PROPRE pays. Qu'est-ce que ça change ? Comment peut-on rester neutre ? Pour qui et pour quoi couvre-t-on le conflit ? Pour la propagande d'un camp, pour l'Histoire, pour la presse internationale ? Est-on encore "neutre" lorsqu'on vit dans une zone de guerre ? Est-on encore crédible ? (Je pense très fort à la situation des journalistes gazaouis qui ont payé un très lourd tribu au conflit et qui ont été souvent traités comme une source non fiable).
Toutes ces questions, le film n'y répondra pas. Les journalistes n'ont aucun enjeu personnel au conflit. Leurs parents, quand ils sont mentionnés, sont "dans une ferme d'un trou paumé en train de prétendre que la guerre n'existe pas". Bien pratique, mais peu probable. Un journaliste américain n'aurait-il pas, à tout hasard, de la famille, des amis, des camarades de fac ou des collègues, au Nord-Est des Etats-Unis ? Le dilemme moral de la "bonne photo" aurait pu prendre une dimension beaucoup plus forte si les personnages avaient eu des opinions politiques différentes par exemple, ou si les enjeux de la guerre avaient été plus crédibles et plus marquants (la Californie et le Texas ensemble, vraiment ?).
Bref, un film qui me laisse sur ma faim malgré des qualités indéniables. J'espère que d'autres cinéastes américains continueront à traiter ces sujets, en ne faisant pas de la violence politique un simple arrière-plan mais en l'affrontant face à face, droit dans l'objectif.