Si je n’avais pas su que le père Costa-Gavras était aux commandes de ce drame singulier, je n’aurais jamais parié un rouble sur cette parenté. Si l’on y retrouve son habileté à capturer, sans avoir l’air d’y toucher, les êtres dans ses cadres, pour le reste, Clair de femme est un exercice de style complètement à part dans ce que j’ai vu du bonhomme. Une illustration douce amère de la mélancolie, une dissection éprouvante de la psyché humaine, un cadavre exquis mené par des funambules de la punchline dont l’objectif est de mettre à mort espoir et bonne humeur.
Il ne manquait à tout cela qu’un rythme en dents de scie pour finir d’achever le pauvre spectateur avide d’expériences nouvelles qui aurait lancé le film avec le sourire. Car l’addition est salée, Montand, éternel habitué des planches labellisées CG, retrouve à l’écran Romy Schneider pour composer 2 heures d’une déprime insolente. Comme si Sautet rencontrait Blier, ce dernier oubliant de faire rire. Le burlesque se met alors en marche pour assécher les cœurs, et ça fonctionne, terriblement.
Pourtant, et c’est certainement le plus troublant, malgré l’ambiance pesante qui plane sur Clair de femme, on se laisse aller parfois à sourire, à rire —jaune— même, et ce en dépit du désespoir extrême qui anime les paires de lèvres présentes à l’image. Toutes sont prisonnières d’un corps meurtri, d’une âme en peine ou d’un esprit perdu, bref d’un bonhomme peu engageant, de ceux qui savent parfaitement vous trouver alors qu’ils ont un coup de trop dans le nez passé minuit.
Clair de femme c’est un peu ça. Prisonnier d’un compagnon opportuniste de beuverie qui a beaucoup d’avance, il est question de rester stoïque, et d’encaisser la conversation à sens unique, d’acquiescer du bec toutes les 5 minutes en espérant secrètement qu’un coma éthylique viendra sonner la délivrance de l’intarissable bavard. En se laissant surprendre cependant par les sursauts d’esprit du triste gay luron quand il fait preuve d’un sens de la formule qui fait mouche.
Bref, Clair de femme est un film insaisissable, très particulier. Une expérience troublante qui ne manque pas d’intérêt mais qui requiert un certain investissement. Il faut être prêt à se laisser porter par les dialogues, à faire confiance aux comédiens, et plus compliqué, à faire face à l’ennui relayé par l’immobilisme des différents personnages en puissance. Mais le jeu en vaut la chandelle, l’effort permet en effet de saisir, au cœur de cette réflexion d’une tristesse à rigoler, une émotion pure particulièrement troublante que parviennent à rendre de manière fugace, mais néanmoins puissante, deux âmes en peine qui passent leur temps à se redresser mutuellement, tout en s’excusant d’essayer d’apprendre à vivre.
6.5/10