Vu au Festival de Cannes 2016.
Avec Clash (Esthebak) en ouverture d'Un Certain Regard, la sélection 2016 donne le ton avec un film politique qui revient sur le chaos égyptien de 2013 avec la prise du pouvoir des Frères Musulmans. Comme Sieranevada la veille, la sélection cannoise semble faire la part belle aux huis-clos en ce début des festivités. En effet, Clash se déroule exclusivement dans un fourgon cellulaire où sont enfermés des individus dont les divergences politiques vont faire accroître la tension dans cet espace clos de manière exponentielle. Première sélection cannoise pour le cinéaste égyptien, Mohamed Diab avait déjà fait forte sensation avec Les Femmes du Bus 678, son premier et précédent long métrage en 2012 qui restait également cloisonné dans l’espace d’un bus.
Alors que des affrontements s’engagent violemment au Caire entre les Frères Musulmans et les partisans de la démocratie laïque, au centre duquel les autorités policières tentent de calmer le jeu, des journalistes et citoyens de tous horizons se retrouvent enfermés dans un fourgon, par manque de solution. Et sous la tôle blindée, la haine ne va pas tarder à resurgir. L’espace de ce fourgon est très nettement la représentation de cette Egypte, divisée tant politiquement que religieusement. Ce lieu cloisonné comprend aussi bien des hommes aux divergences politiques affirmées que des femmes, des enfants et des vieillards. De fait, le fourgon représente la situation bordélique dans laquelle s’est trouvé l’Egypte au moment du Printemps Arabe, soit une gestion sociale calamiteuse et des violences jamais-vues.
Le fait que tout se déroule dans un fourgon rend la situation extrêmement oppressante, presque insurmontable pour le spectateur qui se retrouve balancé d’un bout à l’autre du véhicule. Certaines scènes donnent la nausée tant elles se révèlent illisibles mais participent finalement au chaos qui règne dans et autour du fourgon. Mohamed Diab choisit le parti-pris d’une shaky-cam -que ne renierait pas Paul Greengrass- ce qui accentue l’immersion déstabilisante du film. Plus que tout, c’est dans ses scènes de manifestation violentes que le film est le plus impressionnant et le plus réussi. Le danger, le risque de mourir, l’impossibilité de se sauver, tout est là pour malmener le spectateur et lui faire ressentir en une moindre mesure la terrible existence des égyptiens en 2013.
Mohamed Diab ne semble pas être un nihiliste et malgré les différences notables de caractère chez les passagers, il donne à voir quelques lueurs d’espoir et d’humanité, mais très rapidement contrebalancé par des sursauts de violence qui ne peuvent être contenus. On pourra reprocher à la narration une énorme prévisibilité quant à ses tentatives de redynamiser le récit mais cela permet à Clash de donner de la valeur à tous ses personnages, même s’ils restent effacés dans ce brouhaha continu où chacun tente d’exister et de faire entendre sa parole. L’hystérie de la situation fascine -parce qu’elle émeut- autant qu’elle déroute tant le film n’est qu’une succession de hurlements et coups perdus, comme si l’Egypte ne pouvait se faire entendre que par la rage des mots et des gestes, lancés à tout bout de champs.
A l’instar du dernier plan du film, la partie n’est pas encore gagnée pour se sortir d’une telle situation, et c’est ce qui permet à Clash de faire réfléchir le spectateur sur le climat hystérique et endiablé qui a animé autrefois l’Egypte et qui perdure toujours mais dans une moindre mesure. Bien qu’hystérique et épuisant, ce second long métrage de Mohamed Diab remue tellement par sa sincérité et l’impressionnante violence de ces affrontements qu’il est difficile de ne pas lui prêter un regard attentionné. Mais il faut bien comprendre qu’il requiert également une certaine exigence de la part de son spectateur, ce que pas tous ne seront prêts à donner. Excellent choix que de présenter ce film en ouverture car un certain regard, Clash en possède assurément.
Critique cannoise à chaud à retrouver sur CSM.