Amérique profonde et humour noir
David Dobkin, réalisateur de clips confirmé, passe au long métrage sous la houlette des frères Ridley et Tony Scott.
Une fois n'est pas coutume, c'est par la production que les frères Scott nous donnent de leurs nouvelles. Leurs derniers films en qualité de réalisateurs nous avaient sérieusement laissés sur notre faim : l'anodin « Ennemi d'Etat » pour Tony et l'abominable « G.I. Jane » pour Ridley. C'est donc une très agréable surprise de les voir aux commandes de ce petit film roublard indépendant. Et on les sent beaucoup plus à l'aise dans ce genre de production que dans les grosses machines hollywoodiennes dont ils ont l'habitude. On a l'impression de retrouver l'enthousiasme de leurs débuts, quand Ridley signait la somptueuse fresque napoléonienne « Les Duellistes » et quand Tony renouvelait intelligemment le film de vampires avec « Les Prédateurs ». Aujourd'hui, ils sont à l'origine d'un premier film qui lorgne du côté de « Fargo » des frères Coen, d'« Un Plan Simple » de Sam Raimi ou de « U-Turn » d'Oliver Stone.
Comme tous les dimanches, Clay (Joaquin Phoenix) et Earl passent leur journée à tuer le temps en tirant sur des bouteilles vides tout en buvant de la bière. Au moment de rentrer, Earl annonce à Clay qu'il est au courant de sa relation avec sa femme. Il lui explique son plan machiavélique pour lui pourrir le reste de ses jours. Il demande à Clay de le tuer. Clay refuse, mais Earl se suicide. Il maquille le tout en un sordide accident dû à l'alcool. Les autorités locales se contentent amplement de cette version des faits. Aucunement inquiété, Clay retrouve la femme de Earl et lui explique la vérité. Tous deux décident de ne pas trop s'exhiber ensemble en public pour l'instant. Dans un bar, Clay fait la connaissance de Lester (Vince Vaughn). Le courant passe tout de suite entre les deux hommes. Mais l'arrivée de Lester coïncide avec une vague de meurtres qui attire inévitablement la police dans la petite ville de Clay.
David Dobkin nous plonge tout de suite dans une ambiance d'humour noir avec l'Amérique très profonde pour toile de fond. En tant que spectateur, on est invité à suivre l'histoire extraordinaire de personnages on ne peut plus tranquilles. Le réalisateur pose un décor très typé. Puis il s'amuse à le détruire avec l'arrivée d'un étranger qui s'intègre beaucoup trop vite et beaucoup trop facilement à la petite ville paisible qu'il a décidé d'occuper un bref instant. Sa présence est le moteur qui révèle les habitants de ce patelin à eux-mêmes. L'arme suprême de Dobkin reste l'humour. Il s'en sert pour mieux déstabiliser ses protagonistes. On pourrait dire que « Clay Pigeon » fait partie d'un genre nouveau que l'on pourrait qualifier d'humour noir bouseux qui a fait son apparition dans le paysage cinématographique américain avec les frères Coen.
Pour le soutenir dans son entreprise, Dobkin réunit un trio de jeunes comédiens prometteurs. Une fois de plus Joquin Phoenix (« Prête à tout ») nous prouve qu'il possède un registre très large. Il prête toute son innocence à un personnage à la fois simple et ambigu. Dans le rôle du perturbateur, Vince Vaughn s'amuse et nous amuse grâce à une création totalement jubilatoire. Enfin, Janeane Garofalo joue le contraste avec son personnage de flic fonctionnaire, mais déterminée. Son interprétation rappelle indubitablement la commissaire enceinte de « Fargo ». Grâce à ce casting sans faute, Dobkin se permet un grand nombre de séquences qui reposent sur les dialogues qu'il peaufine en leur insufflant un humour très particulier, noir et profond. Très bonne surprise à ne pas négliger.