La double imposture
Un illustre inconnu, Hossain Sabzian, entre chez des particuliers en se faisant passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf (un des réalisateurs iraniens les plus connus). Il est arrêté et traduit...
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La beauté de la dernière séquence, pourtant mutilée dans sa bande son à cause d'un micro ne fonctionnant qu'à moitié, est renversante. Un choc émotionnel d'une rare intensité, et difficile à anticiper.
Close-Up est un film unique dans sa manipulation du réel et de la fiction, une collision autant qu'une symbiose entre les deux univers, confectionnées par le chef d'orchestre iranien Abbas Kiarostami. La première partie est relativement déroutante car on n'en comprend pas vraiment l'objet, malgré les encarts initiaux nous informant que les acteurs du film n'en sont pas vraiment : on le comprendra plus tard, il s'agit des véritables personnes ayant vécu cette histoire que le film retranscrit autant qu'il accompagne. Et même davantage : le film aura vraisemblablement eu une influence loin d'être négligeable sur la réalité des événements.
C'est, dans un premier temps l'histoire d'un escroc, Hossain Sabzian, ayant abusé d'une famille bourgeoise de Téhéran. La scène d'introduction dévoile cela de manière parcellaire, depuis l'intérieur d'une voiture où des hommes, dont l'identité met un certain temps à s'éclaircir, sont en route vers la maison en question pour arrêter celui qui ressemble à un usurpateur. La question de l'identité, incertaine, vacillante, trompeuse, sera sans doute le point névralgique du film, des personnages, et du rapport au cinéma qu'il expose. Le supposé escroc, Sabzian, se serait ainsi fait passer pour le réalisateur iranien Mohsen Makhmalbaf (l'auteur de Un Instant d'innocence) afin de pénétrer au sein d'un foyer, avec des intentions peu claires initialement, sans cesse réactualisées, à mesure qu'elles sont interprétées par les différents personnages et le prisme de leurs subjectivités successives.
Peu à peu, quelques signaux parasites s'invitent dans la narration jusqu'alors classique. Est-ce vraiment Kiarostami que l'on voit ou entend demander au juge s'il a le droit de filmer le procès, et à Sabzian s'il accepte d'y figurer ? Serait-ce donc un documentaire ?
Un second niveau de lecture se démarque alors. La personnalité et les motivations de Sabzian se dévoilent au fil de plusieurs flashbacks, mis en scène et intercalés au sein d'une séquence montrant son véritable procès. On apprend (ou du moins on croit comprendre) qu'il s'est en quelque sorte retrouvé prisonnier de son propre mensonge, alors qu'il s'était fait passer pour l'auteur du livre qu'il avait dans les mains, à la faveur d'une discussion anodine lors d'un quelconque trajet un bus. Petit à petit, à mesure que la famille dans laquelle il s'est aventuré l'a accepté sous cette identité, il lui était de moins en moins possible de se départir de ce rôle fictionnel.
Et ce n'est pas fini : la famille, au hasard de quelques détails incongrus, commencera à nourrir des doutes quant à sa véritable identité, et se mettra à son tour à jouer un autre rôle, faisant semblant de le croire pour mieux le piéger et l'acculer. Dans cet imbroglio total où tous les niveaux de réalité sont emmêlés, tout le monde joue un rôle de fiction, tout le monde abandonne son identité propre. Le pouvoir de l'image est en ce sens bouleversant.
Kiarostami dira de Sabzian "il y avait des pensées à l'intérieur de ce personnage dont il n'était pas conscient, et il fallait les faire sortir et les lui faire dire. Parfois, pour atteindre la vérité, il faut en partie trahir la réalité." La question de la frontière extrêmement poreuse entre fiction et réalité est omniprésente et poursuit encore un peu plus loin la réflexion portée par des cinéaste comme Herzog, Flaherty, Rouch, Seidl ou Epstein.
La personnalité réelle de Sabzian ne sera d'ailleurs jamais parfaitement établie, même si on peut raisonnablement en avoir une idée fidèle à la fin, lorsqu'il tombe en pleurs dans les bras de la personne dont il a usurpé l'identité, le véritable cinéaste Mohsen Makhmalbaf. À partir de cet instant et jusqu'à la fin du film, au terme d'une balade en moto dans Téhéran pour renouer avec la famille flouée, tout s'entrechoque dans un fracas émotionnel incroyable. C'est d'ailleurs le seul moment où une musique extra-diégétique fait son apparition. Le vrai face au faux, la réalité imbriquée dans la fiction, la notion de représentation du réel, le pouvoir de l'image et donc du cinéma, l'identité à travers la création artistique. Rarement des excuses auront contenu autant de sens, d'implications, de pudeur et d'émotions.
http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Close-up-d-Abbas-Kiarostami-1990
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le 8 août 2018
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