Voilà un film tout particulier souvent sujet de (vifs) débats. Sorti il y a maintenant 10 ans (et nous étions parmi les 300 000 français à l'avoir vu en salle), Cloud Atlas a fait ce qu'on peut appeler un bide terrible... Difficilement financé, co-produit à plusieurs pays, le film des Wachowski et de Tykwer n'a même pas remboursé ses quelques 100 millions de dollars de budget... Et que c'est injuste !
Le pari était, il est vrai, risqué. Dans la forme, c'est du jamais vu au cinéma: 6 histoires, 6 époques, entremêlées, sans rapport apparent, mis à part les acteurs incarnant différents personnages au cours de ces segments aux, et disons que ça couronne le tout, genres cinématographiques variés. Polar, science-fiction d'anticipation, mélodrame, film historique au temps de l'esclavage, comédie même... Il y a de tout dans Cloud Atlas. Film généreux par définition, il porte ni plus ni moins que 6 oeuvres différentes. Dans leur forme tout au moins...
Le spectateur du film va se retrouver pris dans un récit qu'il est de prime abord difficile à appréhender. Quel est donc le rapport entre toutes ces histoires? Si on me les raconte dans le même film, c'est qu'elles doivent constituer un tout, non?
Tel est le jeu du film au premier visionnage: identifier la cohérence de l'ensemble. Et c'est ce qui a sans doute dérouté une partie des spectateurs. Mais pourquoi finalement ? Pourquoi sommes-nous si malmenés lorsqu'un film nous fait passer continuellement d'une histoire à une autre ? Nous le faisons pourtant aujourd'hui plus que jamais à travers notre visionnage des séries TV. Alors que nous pouvons suivre plusieurs récits en parallèle de genres différents (c'est d'ailleurs une nécessité : un épisode de série comique entre 2 épisodes d'une série dramatique, ça équilibre notre expérience de spectateur), nous sommes malmenés lorsque cette alternance de récits survient au sein d'une même oeuvre. Les Wachowski démontrent encore leur côté visionnaire : l'évolution de notre statut de spectateur moderne prêt à de plus en plus "zapper" d'une oeuvre à une autre... Mais là n'est pas l'essentiel.
Il y a bien un rapport entre toutes ces histoires, au même titre qu'il y a un rapport entre toutes les œuvres qui nous plaisent : l'émotion. Cloud Atlas, c'est la manifestation protéiforme qui permet d'identifier, d'extraire les enjeux abstraits qui nous impliquent émotionnellement dans une oeuvre. En traitant dans toutes ses formes les thématiques de l'amour, l'injustice, l'oppression, le courage, la morale, le film captive et nous montre que ce sont les histoires que l'on se raconte (les personnages du film sont tous impactés par les œuvres contées d'autres personnages) qui portent les messages qui importent.
Cartographier les nuages, c'est se guider dans l'impalpable. C'est concrétiser l'abstrait. Cloud Atlas fait partie de ces (rares) films qui vous font prendre conscience de ce qui importe dans les histoires que nous suivons, quelque soit leur forme.
Une fois qu'on accepte cet angle, le film vous transporte. Cette musique composée par Tykwer lui même, ce crescendo... c'est de l'émotion pure. Les acteurs sont absolument géniaux dans leurs incarnations qui dépassent les genres, les ethnies, les conventions. Tout est possible. Un des personnages dit au sein du film: "toute barrière est une convention qui attend d'être transcendée." C'est le sujet au coeur de l'œuvre ("il y a un ordre dans ce monde qu'il ne faut pas perturber" disent les antagonistes) et comme pour les personnages, il nous appartient de libérer notre esprit pour apprécier cette oeuvre non conventionnelle, aux multiples niveaux de lecture, qu'est Cloud Atlas.