Des Hommes et des Poulets

Jean Rouch est né à Paris, mais son cœur est peut-être au Niger. Il y filmera de magnifiques documentaires sur les modes de vie et civilisations locales, mais aussi l’incroyable "Cocorico ! Monsieur Poulet", son OFNI où il s’accompagnera de 2 amis nigérien à la tête(s) du tournage. Un réalisateur tricéphale donc, pour un film infernal.

Un road-movie inattendu :

À l’origine était un documentaire. Jean Rouch, célèbre cinéaste documentariste ethnologue français et afficionado du Niger, se voit proposer par son ami Lam l’idée de filmer le trajet d’un vendeur de poulet allant chercher la marchandise dans un village pour ensuite la revendre en ville. Rouch, lui, pense pouvoir en faire une fiction. Lam et lui s’allient alors avec un troisième copilote, Damouré Zika, pour former « Dalarou », un réalisateur à 3 têtes multinational. Ensemble ils vont tourner les aventures de « Monsieur Poulet » sous la forme d’un réel road-movie en quête de la sacro-sainte volaille. On embarque donc avec Lam et son assistant Tallou, bientôt rejoints par Damouré l’opportuniste y voyant là le moyen de se faire un peu d’argent, pour un voyage à travers le Niger, à bord d’une 2CV nommée « Patience », voiture capricieuse constituant un véritable personnage du film. Mais le long trajet est semé d’embûches, Patience semblant bien décidée à retarder ses passages. Surviendront alors foules d’événements tous plus invraisemblables les uns que les autres : rencontre avec une « diablesse de la brousse », traversées du fleuve malmenant la 2CV (qui décidément le rendra bien), séance d’exorcisme, le tout au milieu des paysages d’une Afrique magnifique. "Cocorico ! Monsieur Poulet" ressort ici comme un récit rocambolesque très drôle. Mais le film possède d’autres qualités, reposant notamment sur sa dimension documentaire.

Un récit au service du documentaire :

Au-delà de la fiction, "Cocorico ! Monsieur Poulet" apporte un vrai regard documentaire sur les réalités de l’Afrique, dans la région du Niger. Avec une équipe de tournage réduite (Rouch  à la caméra et 2 amis à la prise de son), le film montre avec humour les malaises d’un pays tels une précarité certaine, rendant laborieux le voyage d’un commerçant à la recherche de sa marchandise, ou, sur un ton satirique, l’intervention des blancs en colonialistes prétendant mieux maîtriser certaines pratiques que les locaux (voir la scène de « l’expert en développement »). Mais il sait aussi en exposer les beautés : ses croyances et ses coutumes, ses paysages, ainsi que les modes de vie de ses habitants, respirant une joie de vivre indéniable. L’originalité de l’objet réside donc en majeure partie dans cette frontière ténue, ces aller-retours entre réalité et fiction se renvoyant la balle tout au long du film. Et déjà dès le tournage, celui-ci se déroulant en fonction des imprévus, au gré des pannes de Patience. Il y a par ailleurs une scène en particulier qui soulève plusieurs questions quant à la nature du film : le sacrifice d’un poulet, sans-trucage et probablement sans préparation en amont, nous ramenant comme un clin d’œil aux premiers films de Rouch ("Au Pays des Mages Noirs", "Les Maîtres Fous"…).
Assurément burlesque, "Cocorico ! Monsieur Poulet" est un film improbable et rafraichissant, loin de l’humour aseptisé des comédies actuelles. Cet humour peut alors rendre plus accessible le côté documentaire du film, où l’improvisation du tournage ne peut que renforcer cette merveilleuse ode à la liberté.