Safari poulets dans une 2 CV break dépenaillée et désossée trois fois pour passer le fleuve Niger

Quand je l’ai vu à sa sortie en 1977, j’avais bien ri de l'histoire, des personnages et de moi-même. Plus que la narration d’un conte picaresque et parfois fantastique, on était renversé par les moments documentaires cocasses comme le désossage de l’antique 2 CV Break pour traverser le fleuve Niger, et son remontage à l’arrivée, avec un sens génialissime de la débrouille.

En revoyant le film maintenant, je me dis d’abord que le titre va loin. Le commerce implique une accroche. « Cocorico Mr Poulet » comme enseigne peinte et aussi comme refrain de la chanson du trio Lam, Tallou et Damouré pour attirer les clients, ça en dit long d’emblée sur leurs objectifs et sur leur méthodologie foutraque. A défaut d’être immédiatement efficace, elle est hilarante et c'est très fort d'en raconter autant avec un jingle et trois mots peints sur une bagnole brinquebalante.

On ne doute pas que derrière la camera, Jean Rouch se marre. Mais les trois acteurs principaux - et la fille (Claudine) qui joue la diablesse - cachent avec peine leurs sourires et des éclats de rire intérieurs. Ils rendent des hommages ironiques à pas mal de choses : comment les gens survivent dans la misère post coloniale ? Comment combinent-ils l’apport de la technologie (même celle d’une vielle voiture) et la convivialité à l’ancienne que pratiquent des pêcheurs ou des paysans qui cultivent le mil ou encore des éleveurs de poulets ? Comment combinent-ils la maitrise du parler français rationnel avec la gestuelle et les exigences de la magie quand celle-ci s’impose avec bonhomie dans le quotidien ? 

Il ne faudrait pas être dupe et penser qu'ils se moquent seulement des coloniaux, par exemple de cet ingénieur blanc venu expliquer aux paysans comment cultiver le riz (ce qu’ils font sans lui depuis la nuit des temps). Ils se moquent aussi de nous autres, de moi-même (bien que je sois un émigré du Maroc - mais pardon, quand même de la ville) qui sommes assis là, spectateurs bien pensants et bienveillants envers cette épopée gallinacée. On mérite cette malice, car ce monde là, incroyablement vivant est en même tant loin de nous : on s’y perdrait.

Par exemple, il y a en fait trois passages du fleuve Niger pour la "deux pattes". L’un où elle est portée à bout de bras dans l’eau (le fleuve est alors peu profond) et elle est par moments immergée : cela nous inquiète car va-t-elle redémarrer une fois arrivée sur l’autre rive ? Mais oui. Le deuxième c'est quand le fleuve est haut monté, alors la voiture est démontée, le moteur transporté en pirogue et la caisse emballée dans une bâche : elle va flotter à côté et traverser ainsi à sec devant nos yeux ébahis. Pour le troisième passage,  on a mis quelques grosses chambres à air bien gonflées sous le plancher de la 2 CV pour la pousser facilement en un seul bloc sur le fleuve. Et là, comme on s'est maintenant habitués à ce genre de prouesses, on en oublie que nos propres bagnoles deviennent, dans nos têtes, incapables de rouler sans leur contrôle technique biannuel suivi de réparations de détail pointilleuses.

Et pour finir, est-ce que Jean Rouch, qui réalise ce film en 1974, a vu le Vanishing Point de Richard Sarafian, qui date de 1971 ? Le rapprochement semblera curieux. Mais je ne dis pas cela seulement parce que la 2 CV Break de Jean Rouch, héroïne de cinema dépenaillée, est aussi présente et attachante que la somptueuse Ford Challenger V8 qui traverse l’Amérique dans une suite de péripéties virevoltantes et insolites. Il y a aussi ce plan mystérieux où la Ford blanche croise son double noir à toute allure sur une autoroute de l’Utah avant de finir sa course. Or, dans le film de Rouch, la 2CV (et ses occupants) rencontre aussi son double (y compris avec dedans  un trio d‘humains ressemblants). Et c’est aussi le point d'inflexion du film, juste avant que les trois comparses, qui volent cette voiture jumelle car elle est moins cacochyme que la leur, tombent enfin sur une douzaine de poulets, qu’ils vont courser avec succès pour l’achat et la revente, ce qui est leur objectif depuis le début. Le cinoche me fait toujours rêver à des accointances improbables. 

Michael-Faure
8
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le 6 oct. 2024

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