Rain dogs
Non, parce que vous comprenez, maintenant, un film, faut qu’il soit parfait : ni creux (je ne reviens pas sur la critique de Killer Joe d’un éclaireur apprécié qui me fait encore saigner les yeux et le cœur) ni trop chargé au niveau de la métaphore (reproche de beaucoup de ceux qui n’ont pas aimé ce killing them softly).
Il doit être équilibré pile-poil, le film, aux petits oignons, on ne nous la fait pas sur SC, y a du niveau, merde.
Alors certes les discours appuyés et répétitifs sur la crise de 2008 en bruit -insistant- de fond alourdissent passablement le propos, mais cela ne doit pas cacher l'essentiel.
Si j'ai titré ce paragraphe par la chanson de Tom Waits, c'est effectivement parce qu'il y a des chiens et de la pluie, mais surtout parce que, comme un écho inversé de Down by law et sa nouvelle Orléans noir et blanc sublime (oui, je sais, une des plus belles intros de film existante), le film d’Andrew Dominik est un film d’atmosphère. Bien sûr, celle de la banlieue sordide d'une ville quelconque aux états unis, symbole de la déliquescence avancée du pays. Mais c'est aussi et surtout celle de la mentalité de ses deux tueurs, personnages centraux du film.
Oubliez la trame (convenue), oubliez le suspens (inexistant): ce film n'est rien d'autre que le portrait de l'avidité banale, la description clinique de l'absence tragique de toute forme de valeur ou de morale de la part de responsable de tripot, de commanditaire de casse sans scrupule, d'exécutants qui ne se soucient que de leur fin de semaine, et de tueurs (cœur du métrage, donc) dont les préoccupations et aspirations ne reflètent que le vide abyssal de leur existence.
You shoot me all night long
(licence poétique avec le titre de cette autre chanson, faite par l’auteur pour éclairer son propos)
La scène du meurtre de Markie (Ray Liotta) a cristallisé l'ire de beaucoup de ceux qui n'ont pas aimé le film, par sa supposée stylisation gratuite d'une violence sans signification. Elle peut au contraire être vue (comme l'illustration du titre du film le suggère) par le reflet de ce qu'est Jackie (Brad Pitt). Tuer ne lui pose pas de problème, tant qu'il parvient à laisser l'affect de côté. Il lui faut maintenir à une distance toute artificielle l'objet de son action pour ne surtout pas lui donner de consistance, pour lui ôter tout caractère tangible. La sale besogne ne peut être que désincarnée, sans signification, presque virtuelle. Autrement, elle devient trop pénible, voir impossible. Il faut alors faire appel à un autre, encore plus éloigné, si cela est possible, de tout rapport à la vie réelle (Gandolfini, comme d'habitude grandiose).
Everybody’s talking
Enfin, dernier point qui m'a absolument botté, Killing them explore et détaille une des infinies facettes du looser, celui, en tout cas, qui ne parvient jamais à atteindre son but.
Avec le magnifique "Forbans de la Nuit", Jules Dassin, dressait le portrait de Harry Fabian, celui qui ne fait jamais confiance au bon moment et qui grille son potentiel, réel, avec les mauvaises personnes. Cette fois, voici tous ceux qui perdent l'argent et la vie pour le simple besoin irrépressible de parler. Markie qui avoue tout auprès de ses collègues-joueurs longtemps après les faits alors que rien ne le poussait à la faire, Russell qui se confie à celui qui racontera fatalement tout a la victime du casse, un boss de la pègre locale, Frankie, enfin, qui reste sur son lieu de vie, qui continue de fréquenter en dépit du bon sens ses points de chutes habituels pour pouvoir discuter avec les seuls êtres qu'il connait, même s'il n'e s'agit que d'un barman taciturne.
Parler, parce que c'est plus forts qu'eux. Parler pour ne pas se sentir seul.
Quitte à en mourir, inexorablement.
Fa-fa-fa-fa-fa (sad song)
C'est vrai, ce film est loin d'être à la hauteur du somptueux assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, et c'est bien triste. Mais Andrew Dominik continue à essayer d'expliquer, loin de certains stéréotypes (si si), comment fonctionne un homme qui a basé sa vie sur la violence.
Un film, en tout cas, dont les (multiples) fines qualités contrebalancent largement les (quelques) spectaculaires défauts.