En hommage à Inside Job, grand film de mafia
TARANTINO, d’abord
… et même du premier Tarantino, celui de Reservoir Dogs et de Pulp Fiction - dans la place extrême, disproportionnée, accordée aux dialogues, aux bavardages creux, oiseux, décalés, caustiques, triviaux, cruels et définitivement irrésistibles : ici, notamment, les deux pieds nickelés qui vont déclencher l’apocalypse, ou encore, James Gandolfini, énorme, dans tous les sens, en tueur sur le retour. Mais le tueur méthodique (Brad Pitt) parle très peu, pèse chacun de ses mots. Et tous ces dialogues, définitivement drôles donc, ne sont pas sources d’ennui (premier malentendu) mais mettent encore plus en valeur les temps d’action et d’explosion hyper violente.
Il y a sans doute, néanmoins, une différence importante avec Tarantino, chez qui les dialogues ont d’abord le rôle de ralentisseurs, de mise en condition, et constituent une quasi signature esthétique. Ici les dialogues font partie intégrante de l’action, ils vont même jusque à la conditionner.
Car ce sont bien des excès de bavardage, du patron trop bavard, même avec des années de retard (Ray Liotta), des deux complices très amateurs, ou même du tueur en bout de course qui vont provoquer leurs éliminations brutales. Tous parlent trop – parce que c’est, sans doute, dans un monde qui se délite, leur seule façon d’expulser leur mal-être, leur souffrance, au moment où ils s’en sortent un peu – juste avant qu’ils ne s’en sortent plus du tout.
OBAMA, ensuite,
Et le business,
Et INSIDE JOB, on va y arriver.
Le film s’ouvre sur un tunnel, un personnage de dos progressant dans un tunnel – vers la clarté. Mais la clarté est très surexposée, sans doute trop brillante, éblouissante. Illusoire. Et l’univers alentour est totalement dévasté, banlieue sinistre, glauque, avec envol de papiers sales qui envahissent l’écran comme des mouettes. Le traitement de l’image, dès cet instant, est d’ailleurs à la fois sobre et magistral : une manière de gris et blanc avec des taches de couleur on ne peut plus significatives, des feux rouges ponctuant ce no man’s land ruiné. Au reste, tous les feux sont au rouge.
(Second malentendu, en passant : les scènes apparemment non liées, comme le shoot à l’héroïne, façon Easy Rider, sur fond de Lou Reed, mais qui n’a rien, vraiment rien de psychédélique – on est bien en pleine détresse humaine, très opaque – No future.)
On sait d’emblée que le film aura une dimension sociale, et que l’apparition, sonore et fragmentée, d’un discours économique, « solidaire » et très politique d’Obama n’a rien d’innocent.
C’est probablement ce parallèle très appuyé et perçu comme artificiel, entre les tueries, somme toutes banales apparemment, dans le milieu des mafieux et le discours politique ambiant, qui a gêné le plus le spectateur et provoqué les plus grandes réserves par rapport au film.C’est le troisième malentendu, et le plus important. Ce parallèle n’a pourtant rien d’artificiel, et encore moins de naïf ou de simpliste. Dans Inside job, tout était déjà dit sur le fonctionnement des grandes instances, totalement mafieuses, qui nous dirigent ; et tous les mafieux y sont nommés : les parrains (le principal était sans doute Hank Paulson, patron de Goldman Sachs, évidemment cité … dans Cogan, il n'y a pas de hasard), leurs porte-flingues, leurs spécialistes, leurs avocats, et même quelques repentis ; et leurs méthodes mêmes ne sont qu’un écho au monde sinistré de Cogan – putes, alcool et drogues diverses.
Les deux films disent en fait, avec les moyens très complémentaires du document et de la fiction, exactement la même chose : la mise à mort en deux temps et parfaitement atroce de ray Liotta, parfaitement innocent et reconnu comme tel par tous, peut sembler dès lors totalement gratuite - et justifier à nouveau des réserves du spectateur (un malentendu de plus). Et pourtant cette exécution est des plus logiques, totalement imparable, car Ray Liotta, en provoquant par ces bavardages intempestifs la débandade du système, est infiniment plus coupable qu’innocent. Et il sera condamné et exécuté pour les mêmes raisons que l’Etat avait condamné et exécuté la banque Lehman Bros – aucune différence, la même problématique, la même réponse, sans état d’âme. Dans ces conditions, cette mise à mort est évidemment bien plus importante, que celle des auteurs du casse, dont les exécutions restent à usage interne et presque anecdotiques. Qui osera dès lors dire que Cogan, killing them softly est un film ordinaire de mafia avec une intrigue totalement prévisible ?
Et, de façon évidemment significative, Inside job s’achevait sur un discours économique et « solidaire » d’Obama. Le dernier mot de Cogan, adressé à l’avocat entremetteur est, de façon aussi réaliste que cynique, le mot « business », suivi par une injonction imparable – « payez. »
Dans Cogan, l’exécuteur parle donc très peu (on retrouve donc notre hypothèse initiale) – car seule importe l’efficacité liée aux affaires, la reprise du commerce, l’exécution des contrats, aussi « doucement », sans heurts extrêmes, que possible. Il ne s’agit que d’affaires, et les mots doivent donc aussi être économisés. Au-delà, comme dans Inside Job, les commanditaires resteront définitivement silencieux et masqués.
Rien n’est à toi
Tu ne vaux pas un seul centime
Tout appartient à la société anonyme.