Bien que relativement dénigré dans son pays natal, Sion Sono est à l'échelle internationale l'un des réalisateur japonais contemporain les plus reconnu et admiré. Révélé au grand public avec Suicide Club, il n'a cessé de surprendre et et bien souvent de choquer. Livrant des films radicalement malsain comme Strange Circus, essayant d'apporter sa contribution à la mode des 'fantômes chevelu' avec « Exte: Hair Extensions »; il s'est même essayé au drame pur et dur en réalisant le 'gentillet' « Be Sure to Share ».
En plus ne pas avoir peur de s'affirmer dans des genres différents, de rester fidèle à son status de réalisateur indépendant, Sion Sono se fait le porte parole d'un cinéma japonais de qualité, trop absent à son gout, et ne craint pas d'être comparé aux cinéastes nippons 'révolutionnaires' que sont Shūji Terayama, Koji Wakamatsu ou Sōgo Ishii. Sion Sono s'est aussi révélé être un incroyable technicien, et de ce coté là, sa notoriété il l'a acquise avec son sens aigüe du rythme et de la mise en scène, expérimenté avec « Noriko's Dinner Table », qu'il à affiné avant de finalement livrer « Love Exposure », une œuvre aussi monumentale que profonde qui a laissé peu de monde indifférent.
Après un film pareil, le réalisateur est comme on dit 'attendu au tournant', alors que nous resèrve donc « Cold Fish »?

S'inspirant de l'histoire du plus notoire serial killer japonais contemporain, « Cold Fish » s'inscrit pourtant dans le style où Sion Sono excelle, à savoir la fable sociale à tendance morbide, dans laquelle le fameux serial killer n'est au final qu'un vecteur scénaristique permettant au réalisateur de déconstruire littéralement une petite famille sans histoire. Sans trop entrer dans les détails, le scénario s'avère plutôt bien écrit, proposant une mise en place qui laisse peu de doutes sur un futur basculement, tout en restant assez efficace, permettant ainsi au spectateur de bien s'imprégner de cette petite famille japonaise à la vie simple et monotone. Comme dans « Love Exposure » le fait d'avoir une famille recomposée permet une faille qui sera plus qu'exploitée afin de faire ressortir tout ce qu'il faut de conflit et de mal-être. L'intervention prévisible de Murata ramène facilement à des films tels que Visitor Q, offrant une possibilité à l'inconnu d'intervenir dans le cercle 'fermé' d'une famille afin de la faire imploser. Personnage central et, en quelque sorte, maillon faible de cette famille, le personnage de Shamoto, le père, est particulièrement bien écrit. Malmené du début à la fin, le scénario montre sa 'descente aux enfers' comme une sorte de renaissance, violente et déroutante, exacerbant ainsi les maux dont souffrent sûrement la plupart des patriarches.
L'exagération sert le propos du film, mais permet surtout une critique virulente plus marquante qu'un simple effet de style sous-jacent, justifiant la violence graphique et psychologique et ôtant du même coup tout soupçon de gratuité de la chose. La violence psychologique et morale, parfois même physique, infligée à Shamoto se fait l'écho d'une folie ambiante et contagieuse dont il se servira pour se libérer de Murata, de son status social, de sa famille, de lui même... Une histoire tortueuse agréablement écrite alternant dialogues presque anodins, psychologie de comptoir, vision torturée du monde, hystérie contextuelle, violence exutoire, le tout avec pour seule réponse une liberté utopique ou une folie volontaire.

La réalisation est soignée, et l'ingéniosité de Sion Sono permet de palier au mieux le faible budget du film aloué par Sushi Typhoon. Malgré quelques petites longueurs, le rythme est agréable même si on est loin de la prouesse de son précédent film. En revanche, Sion Sono fait preuve de plus d'inventivité dans la réalisation, et l'audace paye bien puisqu'il n'avait pas réalisé de film aussi original visuellement depuis Strange Circus. Toujours accroché aux caméras HDV, les 'faiblesses' matérielles sont ici compensées par une photographie travaillée, souvent très colorée, à laquelle s'ajoute régulièrement des éclairages nuancés d'une subtilité exemplaire et d'une efficacité remarquable. Ce travail sur l'image et la lumière permet un meilleur contraste dans la narration et un bon découpage visuel des séquences, passant ainsi de couleurs vives et éclatantes à des couleurs ternes et crues. Le spectateur peut ainsi avoir l'impression de voir distinctement deux microcosmes dans lesquels les actions des personnages donnent le ton, permettant ainsi d'accentuer l'effet de malaise lorsque les actions contextuelles d'un de ces deux 'mondes' basculent dans l'autre.
Le montage est globalement linéaire, mais cela ne gêne en rien car un montage trop accentué aurait sans doutes desservi le schéma narratif. Malgré certaines similitudes avec le montage de « Love Exposure », la linéarité permet ici un aspect plus intimiste et contemplatif qui rassure et aide à installer un sentiment de 'sécurité' pour arriver à entrer au sein de cette famille. Le réalisateur ne cherche pas simplement à nous raconter une histoire horrible, il essaye d'obtenir une certaine implication de son public qui pourrait aller jusqu'à l'identification. Pari plutôt osé vu ce qui arrive à cette famille, mais techniquement l'intention est présente et le résultat, bien que mitigé, reste très satisfaisant.

Coté casting, d'un point de vue nippon, on peut dire sans mal que la grande majorité des acteurs offre une prestation vraiment bonne. D'un coté plus occidental, il va sans dire que certains y verront probablement une sorte de sur-jeu, pourtant typique, qui s'accentue encore plus lors de scènes hystériques.
Mitsuru Fukikoshi offre une performance quasiment sans défaut pour son rôle du père de famille. Sa transformation tout au long du film est clairement visible, il propose une palette expressive assez impressionnante pour un acteur asiatique, allant même jusqu'à avoir un jeu sensitif qui transmet parfois les sentiment de son personnage d'un simple regard. Un travail d'acteur impressionnant qui montre qu'il a fait bien du chemin depuis « Guinea Pig 4: Devil Woman Doctor » ou encore « Gamera 2: Attack of the Legion ».
Denden s'avère égalment très bon dans le rôle de Murata, même si, comme dit plus haut, certains ne verront que du sur-jeu, il est arrivé à montrer un personnage excentrique et expansif qu'on pourrait trouver drôle et déjanté, tout en laissant rarement de place à trop de second degré. Cette excentricité limite grotesque ne cache jamais, ou si peu, le fait qu'on a à faire à un véritable psychopathe. L'exagération de sa folie n'arrive jamais à en masquer l'horreur, ce qui est en soit une belle prouesse.
Le reste du casting n'est pas en reste avec quelques moments de grandeurs pour les femmes de Shamoto et Murata. Dans l'ensemble, la direction artistique suit et les acteurs, à défaut d'être grandioses, jouent tous bien et permettent une grande homogénéité du film.
Un petit bémol cependant avec la bande originale du film. Non pas qu'elle soit mauvaise ou mal utilisée, mais elle n'est pas vraiment marquante et ne soutient vraiment les images que rarement.

Au final, « Cold Fish » nous réserve une agréable surprise. Si Sion Sono avait réussit à atteindre la maestria de « Love Exposure », il aurait surement fallut crier ô génie, mais même sans arriver à de pareils sommets, il montre qu'il peut surprendre et mettre de la constance dans son travail.
Sion Sono arrive à toucher avec des thèmes difficiles, souvent horribles ou malsains, il n'hésite pas à bousculer conventions et spectateurs avec une poésie visuelle unique, qui fascine autant qu'elle dégoute. « Cold Fish » est un récit terrifiant, non pas parce qu'il est question d'un tueur en série, mais parce qu'il nous ramène à notre condition de parent, d'adulte en devenir, de travailleur, de patron, d'être humain... Notre humanité n'est pas à l'abri d'une folie que nous ne saurons peut être pas éviter, victimes d'abrutissement au travail ou à la maison, il rappelle avec violence que la vie au quotidien, même la plus simple possible, peut être une chose difficile à affronter... La liberté, la volonté, le libre arbitre, le poids des années, du vécu, de la société, autant de petites choses qui peuvent nous faire basculer pour peu qu'on ne n'y prête pas attention, qu'on ne se soulève pas pour s'exprimer ou pour simplement vivre la vie qu'on à souhaité.
Cette fable sociale noire et désespérée de Sion Sono est un spectacle dérangeant car il fait balancer le coeur du public entre rire franc et horreur nauséabonde sans jamais s'imposer ou lui demander de choisir l'un ou l'autre.
Et vous, vous choisiriez quoi?

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le 13 sept. 2011

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DocteurKi

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