Cold War de Pawel Pawlikowski nous est dévoilé dans la sélection officielle du Festival de Cannes 2018. Comme pour Ida, l’esthétique de cette romance fragmentée par la guerre est à se damner. Les cadrages, la lumière, l’angle de prise, tout est d’une beauté d’orfèvrerie incroyable. Mais il est dommage que le montage en ellipse ne permette pas une meilleure immersion émotionnelle envers ces deux personnages singuliers.
La guerre froide est un loup de mer qui ne permet pas au cœur de se réchauffer. Comme les personnages de Cold War, le spectateur aurait aimé profiter encore plus de cette relation amoureuse maudite qui s’arrête, reprend, et vice et versa, dans la frénésie la plus totale. La beauté des personnages, leur angoisse mutuelle et leur osmose charnelle ne suffisent pas à pouvoir les ramifier. Seuls le temps et la guerre sont les décideurs de cette aventure aux quatre coins de l’Europe.
Que cela soit dans une troupe chantant la gloire de Staline, les bars jazzy de Paris ou même les recoins reculés de Berlin, Cold War déploie sa beauté foudroyante, enchante par le prisme de ce Noir et Blanc qui est révélateur d’une grande élégance, mais apporte également une touche de nostalgie au récit. Sous la fine lame de cette mise en scène qui essaye tant que mal d’articuler une relation amoureuse sous perfusion d’ellipse temporelle, Cold War aime jouer sur la symbolique. Chaque plan, chaque regard est sous l’égide d’une guerre froide où l’État semble être l’ombre d’un monstre et le reflet d’une retenue qui ne permet pas l’explosion des sentiments.
Comme une épée de Damoclès qui retiendrait toute ferveur à cette histoire, le minimalisme du montage achève cette idée que cette relation ne pouvait pas se dérouler par l’écoulement du temps, mais plutôt par sa fragmentation. Malgré toute la splendeur visuelle de l’œuvre, la romance est un cinéma de genre, qui a besoin de chair ou de tendresse, mais surtout d’incarnation pour pouvoir dévoiler tous ses secrets les plus inavoués et c’est bien la limite de Cold War. Les séquences fonctionnent, elles sont sensibles, magnifiques pour certaines, comme à Paris, mais l’ensemble donne l’arrière-gout de voir un roman photo, ou les souvenirs fragmentaires d’une mémoire qui ne souhaite pas se remémorer tous les instants d’une relation tumultueuse.
C’est enivrant, mais terriblement frustrant. Car on ne ressent pas la frustration des personnages. L’éclosion de leur colère, le miroitement de leurs échappées au bout du monde nous paraissent très lointaines. D’une chambre en plein Paris, sur une scène de spectacle ou dans les ruelles désertes d’une nuit lumineuse, Cold War s’inscrit dans sa propre quête formaliste mais désarme tous ses effets émotionnels. Elle, avec sa voix et sa chevelure blonde, lui, avec sa silhouette noble, nous éblouissent à certains moments. Elle chante mais paraît boudeuse et pleine d’énergie. Lui, un peu dandy sur les bords mais extatique dans ses sentiments langoureux.
C’est l’histoire d’une vie, de l’amour d’une vie sans que nos deux tourtereaux ne puissent y goûter pleinement. Au regard de Cold War, on y retrouve par moments cette classe qui exultait de La Dolce Vita de Federico Fellini, ce même pessimisme enchevêtré dans un costume un peu corseté, sans malheureusement la montée en exergue de la dramaturgie.
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