Dix ans après le magistral Heat, Michael Mann nous plonge à nouveau dans l'univers du crime avec Collatéral. La figure emblématique du professionnel, préalablement incarnée dans Le Solitaire et Heat, se manifeste cette fois-ci à travers Vincent (Tom Cruise), un tueur à gages implacable. Le récit se déroule sur une seule nuit, au cours de laquelle le meurtrier est chargé d'éliminer plusieurs personnes. Un chauffeur de taxi, Max (Jamie Foxx), se retrouve malgré lui embarqué dans cette course effrénée. La toile de fond dans laquelle vont s’empêtrer Max et Vincent est celle de la cité des Anges, damier infini de points de lumière réfléchissant dans la nuit noire. La ville, devenant peu à peu fantôme, soutenue par le numérique et les tons gris-orangés, agit presque comme un personnage à part entière. Les deux protagonistes, bien que diamétralement opposés en apparence, milieux sociaux et couleurs de peau inclus, se rejoignent dans leur complexité. Vincent incarne le professionnel perfectionniste, discipliné et insensible, tandis que Max, chauffeur de taxi, fuit son quotidien morose en cultivant une élégie perdue à travers une carte postale des Maldives. Ce qui distingue en partie Collatéral des autres films de Mann dépeignant des professionnels, ce sont les moyens utilisés et la sociopathie admise du personnage. Les motivations de Vincent sont inexistantes, à l'exception de l'argent, et son comportement rappelle celui d'une machine bien programmée. Cependant, au fil de ses interactions avec Max, on sent ce perfectionnisme se dérober sous les pieds de Vincent, de la même manière que l’arrivée de de Eady dans Heat, ramollie Neil. Collatéral représente une évolution plastique pour Michael Mann. Avec l'avènement du numérique, le minimalisme cède la place à des expérimentations plastiques plus souples. Mann utilise l'architecture moderne de Los Angeles comme toile de fond, créant une connexion émotionnelle entre les personnages et leur environnement. Les décors extérieurs de la ville, vus depuis le taxi, se mêlent aux scènes intérieures du véhicule dans des plans de reflet, offrant des perspectives obliques, des lignes droites, des carrefours et des stations-services, dans une brillance nocturne orange-verte-grise. Les performances de Jamie Foxx et Tom Cruise sont capturées par la caméra numérique de Mann. Les capteurs HD réagissent aux lumières sodium par des tons rouges intenses, permettant à Mann de jouer avec les teintes et de créer des contrastes allant du cyan au verdâtre. Les images découpent les corps humains ou naturels sur des fonds de ciel étoilés, incarnant le monde moderne dans des couleurs ressortant de la nuit. Collatéral se démarque en réincarnant la couleur, s'opposant ainsi au minimalisme rigoureux propre au cinéma post 2000 de David Fincher. La captation numérique saisit les fantômes entre deux vagues de péripéties, offrant des moments d'élégie et flottement purs – deux coyotes traversent la rue déserte – dans une ville en mouvement constant. Le film capture le présent dans toute sa plénitude, créant un sentiment de suspension temporelle, comparable aux plans océaniques des autres films de Mann. Dans un cadre où les personnages évoluent à coup de mouvements verticaux, brutaux, de collisions et de dommages collatéraux, ces moments de stase sont offerts aux protagonistes comme des sphères d’inerties dans leurs courses effrénées contre le temps. Inflexibilité professionnelle, mégalopole cristalline et élégie statique : tous les motifs Mannien sont ici convoqués dans un canon renouvelé. 

Howlderlin
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le 4 déc. 2023

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