J'ai souvent lu des critiques reprocher à ce film la simplicité de son scénario, on peut se demander si ces mêmes critiques ne font pas l'amalgame entre simplisme et simplicité, entre complexité et profondeur et si il serait alors légitime de reprocher à l'Odyssée de n'être que l'histoire d'un aller-retour...


Avant d'analyser le film, il faut tout d'abord rendre hommage à son esthétique qui arrive à donner une âme à une ville qui n'en a pas. Quiconque a visité Los Angeles ne peut que reconnaître sa laideur et sa bâtardise, propre à toutes les villes multi-culturelles des États-Unis.
Mann filme la nuit de cette ville comme personne, son immensité, sa crasse, sa chaleur...Mais si la nuit à Los Angeles est immense, ce n'est que pour mieux faire ressortir l'infinie solitude des deux protagonistes.


Le film est, à y bien regarder, une dialectique du fort et du faible.


Le fort, c'est le personne de Tom Cruise, il n'hésite jamais, est implacable, froid, fort. Le personnage de Jamie Fox est à son opposé, il est hésitant, ne prend pas de décisions, passif, faible. Il parle d'un voyage qu'il doit faire depuis des années mais la mise en scène fait bien comprendre que c'est un trouillard qui n'ose pas sortir de son schéma de vie habituel, il prend dans son taxi une avocate qui lui plait, mais n'ose pas lui demander son numéro au moment où il la dépose. En espace de quelques minutes, les deux personnages sont posés :


L'un fort, l'autre, faible.


Mais, et c'est en cela que c'est une dialectique, c'est que l'un ne peut aller sans l'autre et qu'il y a même, au cours du film, une lente inversion des rôles, le fort devient faible, le faible devient fort.
La scène où Vincent reste dans le taxi pendant que Max doit se faire passer pour lui en allant voir Javier Bardem est symbolique : Max, pour survivre, doit devenir ce qu'il n'a jamais été, fort, alors que pendant ce temps, c'est Tom Cruise qui reste passif dans le taxi à l'attendre, il prend la place du faible.


Cette dichotomie entre ces deux personnages finit par se dissoudre dans la scène finale. Max et Vincent se faisant face à face dans le métro, les deux pointent leur arme l'un sur l'autre, Vincent est un tueur professionnel, mais il est affaibli psychologiquement et physiquement, Max n'est pas un tueur professionnel mais il compense ce défaut par une volonté de protéger la femme qu'il aime. L'opposition du fort et du faible n'est plus, l'un n'est plus ce que l'autre n'est pas. L'un est l'autre. Le fort est faible, le faible est fort.


C'est ce qui rend le personnage de Vincent profond. Durant cette scène, quand il dit, avant de tirer sur Max, "je fais ça pour vivre", il justifie son acte avant de tirer, il n'est plus le tueur implacable dénué de morale. Ici, il culpabilise, et c'est parce qu'il culpabilise à l'idée de tuer Max qu'il se sent obligé de se justifier. Aussi, cette phrase là n'est-elle pas à prendre au sens matérialiste du terme, "je fais ça pour vivre" n'est pas à prendre au sens où "j'ai besoin d'argent pour vivre", il est à prendre au sens existentiel. Ce tueur implacable avoue que le seul moyen qu'il a trouvé pour vivre, c'est de supprimer la vie des autres, peut-on trouver quelque chose de plus pathétique ?


Cet homme nous impressionne, il se détache du commun des mortels, et voilà que cet être singulier avoue, au final, n'être qu'un homme, avec ses forces, ses faiblesses. Déchéance de l'absolu qui se fond dans la masse des hommes, Chute de Prométhée...Sommes-nous pour autant déçus par ce personnage ? Non, nous sommes rassurés. La tragédie de cet homme fait naître en nous un pathos, il y a communion : nous nous voyons en lui. Sa chute, c'est notre ascension. Prométhée descend vers l'homme, l'homme monte vers Prométhée.


Les derniers mots de Vincent adressés à Max sont d'autant plus touchants: Vincent agonisant demande à Max : "tu crois qu'on le remarquera ?" . Dans l'immensité de cette ville, personne ne remarquera la mort de cet homme. Voilà la relation totalement inversée : alors que Max au départ n'existait pas car il n'agissait jamais, voilà que celui qui existe au final, c'est bien Max, car il existe pour la femme qu'il vient de sauver, tandis que Vincent lui, le tueur à gage, n'existe pour personne car les seules personnes pour lesquelles il existe sont celles qu'il a tuées.


L'art nous met en présence d'un mystère et ce mystère, pour l'intellect, est contradiction. Comment le fort devient faible ? Comment le fort peut se révéler pathétique ? Mais c'est bien parce que Vincent réunit en lui les opposés qu'il exprime la totalité de l'homme et par là, touche à l'universel.

Gahisto
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Top 10 Films et Top 50 Films selon Gahisto

Créée

le 8 mars 2020

Critique lue 219 fois

2 j'aime

Gahisto

Écrit par

Critique lue 219 fois

2

D'autres avis sur Collatéral

Collatéral
Sergent_Pepper
5

Taxi sniper

Revu il y a trois ans et massacré par une note divisée par deux, je me devais de redonner sa chance à Collatéral : au sein d’une intégrale consacrée à Mann surgiraient peut-être de nouvelles ébauches...

le 23 juin 2016

84 j'aime

20

Collatéral
Gand-Alf
8

La cité des anges.

Après s'être attardé sur une partie de la vie de Mohamed Ali, Michael Mann plonge au coeur même de la cité des anges, adaptant un scénario qui aura circulé pendant un certain temps à...

le 21 juil. 2013

78 j'aime

Collatéral
Vincent-Ruozzi
8

Mon client le tueur

On associe souvent l'intimité au cinéma avec le huis-clos. La promiscuité, forcée par le manque d'espace, permet au spectateur de s'identifier beaucoup plus rapidement aux personnages et de...

le 19 déc. 2018

64 j'aime

6

Du même critique

Life - Origine inconnue
Gahisto
5

C'est la bèbète qui monte qui monte qui monte...

De Alien à Life, on perd en métaphysique ce qu'on gagne en divertissement. Je peux reconnaître toutes les qualités au premier Alien, il n'empêche que je me fais un peu chier en le regardant. Et ici,...

le 20 avr. 2017

35 j'aime

1

Star Wars: Battlefront
Gahisto
4

Jeu en kit

EA prend ses joueurs pour des pigeons ... Oh mince, EA aurait-il vu juste ? Bah oui, quand des joueurs achètent des skills à 10,15,20 euros sur LoL, Hearthstone ou des packs de maps CoD à 15 euros...

le 26 nov. 2015

27 j'aime

17

Le Cinéma de Durendal
Gahisto
2

Je suis un consommateur ! Je suis la dérive de la démocratie ! Et j'en suis fier !

Ce qui me fait marrer dans ces vidéos, c'est que, parce que Monsieur est dans une école de cinéma, alors Monsieur se pose comme argument d'autorité et croit détenir la vérité sur tout, au point...

le 17 févr. 2015

24 j'aime

1