Film intéressant à bien des égards. Un peu oublié aujourd'hui, comme d'autres films des pays de l'est sans doute, bien qu'ayant eu un succès d'estime en son temps (il a obtenu le grand prix à Cannes apparemment).
Ce film d'Istzvan Szabo narre l'ascension d'Alfred Redl, homme complexé par son homosexualité et ses origines ruthènes (une minorité ukrainienne de l'empire austro-hongrois), au sein de l'armée autrichienne peu avant la première guerre mondiale. C'est cependant moins le récit d'une chute prévisible (le résumé est un peu simplificateur voire trompeur je trouve) comme on en a souvent vu que la peinture lucide d'un monde en pleine déliquescence, celui de l'Empire Austro-Hongrois.
Alfred Redl va en effet découvrir peu à peu l'aristocratie militaire autrichienne et ses vices. Szabo prend tout de même soin de brosser un portrait nuancé du personnage. Si Redl découvre la corruption de ses soldats (qui font de la contrebande ou en profitent pour violer la paysanne du coin, au choix) et les manœuvres en haut lieu, il n'est lui-même pas un saint. Très tôt à l'académie, il n'hésite que peu avant de dénoncer ses camarades, et progressivement, se comporte comme un petit chef, profitant de la mise à l'écart de concurrents, ou plus tard, renvoyant sans ménagement sa sœur de son bureau. Le film illustre bien en cela que ce que demande l'empire à ses citoyens, c'est de renoncer à leur identité tant qu'elle n'est pas autrichienne, de se couper de leurs racines, le tout pour préserver un monde aristocratique et masculin. De quoi méditer à l'heure où l'on n'a de cesse de nous parler d'intégration, ou qu'on exalte le passé et l'autorité.
La mission de Redl et des autres officiers ce n'est d'ailleurs rien moins que de mater l'agitation qui monte dans la mosaïque de nationalités et de minorités composant l'empire austro-hongrois. Le but avoué du prince héritier est de faire un exemple qui calmerait les velléités indépendantistes. On apprendra plus tard qu'il s’accommode toutefois des minorités remuantes tels que les juifs ou les hongrois, ou au moins n'ose pas les provoquer. Le prince recherche surtout du facile, un bouc émissaire. Redl comprend alors que son travail ne mène à rien, bien qu'il garde son admiration pour l'empereur. Lorsque ses illusions sur le prince disparaissent, il a ces mots prophétiques : Je veux que mon monde disparaisse avec moi.
Si le film a du contenu comme on peut le voir, Szabo n'en oublie pas pour autant de soigner sa mise en scène, ne se cachant pas derrière l'excuse facile du naturalisme ou de l'académisme. L'éclairage notamment m'a paru en tout point remarquable, d'un blanc aux teintes bleutées dans les scènes d'extérieures, ou bien diffus et saturé dans les intérieures. Assez souvent, on a une lumière presque aveuglante aux fenêtres. Était-ce un moyen de souligner la sclérose de ce monde, qui va bientôt s'embraser? Difficile à dire, mais difficile de ne pas y penser aussi.
Last but not least, Colonel Redl, c'est l'occasion de voir Klaus Maria Brandauer, acteur qu'on a pu voir dans Out of Africa, mais trop rare par ailleurs, alors que dans chaque rôle il semble dégager quelque chose de magnétique. A titre personnel, c'est même ce qui m'avait motivé à voir ce film. Son interprétation très fine fait très bien ressentir les hésitations de son personnage fragile et pris entre plusieurs feux. La scène la plus émouvante est peut-être celle où il tente de réciter le notre père à l'église peu avant sa fin. Les autres acteurs complètent le tableau mais leurs rôles sont surtout fonctionnels. C'est d'ailleurs un des rares reproches qu'on pourrait faire au film. Le personnage de la maîtresse puis épouse de Redl notamment reste en retrait tout du long, ce qui peut laisser sur sa faim.
Intelligence du propos, élégance de la réalisation et qualité de l'interprétation, autant de raisons qui font d'Oberst Redl un film à voir.