L'Aventure de Mme Muir par Florent
Joseph Mankiewicz. De ce réalisateur dont le nom évoque aux cinéphiles quelques films de légende (même si bizarrement il y a encore quelques mois j'aurais plutôt associé son nom essentiellement à cette production pharaonique de Cléopâtre), à un moment il me fallait voir au moins quelques films, aussi m’étais-je fait offrir un coffret de cinq d'entre eux récemment.
L'aventure de Mme Muir (prononcer "Mioure" en anglais) me paraissait le plus abordable, et avait l'autre avantage d'être le moins long. Et j'ai essayé de ne pas trop faire attention à l'inévitable "chef d'oeuvre" (grrr...) figurant sur le dos de la jaquette du DVD...
Mankiewicz nous transporte en Angleterre peu après la première guerre mondiale. Mme Muir incarnée par la très belle Gene Tierney, étouffe en ville et décide de s'établir au bord de la mer contre les avis de ses tantes. Une maison lui tape dans l’œil mais le notaire tente de l'en dissuader car il s'agit de la maison hantée par son cousin décédé.
On est un peu surpris de tomber sur une histoire fantastique dans un film de cette époque. Eventuellement, on s'attend alors à un traitement proche de celui de Rebecca de Hitchcock : gothisant sur la forme mais réaliste sur le fond. Mankiewicz a une autre approche, assumant l'idée initiale mais très vite il démythologise et déromantise l'image du fantôme, après un début qui joue des codes gothiques: le fantôme est ici un ancien marin disparu dans un accident tristement banal. Rex Harrison lui prête ses traits et franchement il aurait été difficile de trouver acteur au physique plus adéquat : grand, mâchoire carrée et tête oblongue, la barbe fournie. Le marin à l'état pur !
Le film est avant tout un portrait de femme. Mme Muir est une entêtée qui rompt avec ses attaches pour la vie au bord de la mer, elle "mate" assez vite le fantôme et en même temps, comme elle le dit elle-même : "I need companionship". Mankiewicz nous parle du difficile apprentissage de la liberté, de la difficulté d'être soi et à soi en société. La nouvelle vie et la rencontre avec le fantôme poussent Mme Muir vers une forme de solitude, solitude... que connaissent si bien les marins. Leur relation devient plus tumultueuse lorsqu’elle rencontre un homme, sa vie rebondit grâce au roman que lui a dicté le marin, et là aussi Mankiewicz nous fait réfléchir sur ce que l’on doit aux autres et sur les chemins menant au bonheur.
Son cinéma est tout en délicatesse, feutré… tout en dialogues aussi, ce qui lui permet de ne pas imposer une quelconque vision, une morale… et franchement, même si le film plaira sans doute plus à un public féminin, difficile de ne pas rester admiratif devant la finesse de l’ensemble.
Dernière chose, plus légère, il faut voir le film ne serait-ce que pour le chapeau que porte Gene Tierney quand son personnage se rend chez son éditeur : totalement extravagant, mais absolument charmant !