Ouais bon on va se remuer là. Non parce que c’est pas tout ça mais faudrait voir à se préoccuper un peu de Kurosawa. Deux films* du maître en tout et pour tout ça la fiche un peu mal, surtout chez quelqu’un qui a le culot d’en mettre un dans son top 10. Je ne m’en vais certes pas concurrencer les petits jeunes là, les Confucius, PFloyd et autres Gwimdor qui se font des marathons, c’est peine perdu… ils doivent vivre 18 heures sur 24 à la médiathèque, en plus y en a qui ont des avatars de Time Lord, de Tardis, c’est louche tout ça moi j’dis… mais ça ne m’empêchera pas d’écrire aussi une critique d’un Kurosawa, non mais !
Donc. Rashomon. Trois hommes sont assis à une porte, la porte du dieu Rasho, et discutent d’une affaire judiciaire récente, qui les perturbe : le meurtre d’un samouraï par un bandit. C’est que les différents protagonistes de cette affaire livrent chacun une version différente voire contradictoire avec les autres.
Il ne me semble pas si important au fond de comparer chaque version par rapport aux autres. Plus peut-être d’essayer de voir ce que chacun y projette de lui-même. Ainsi dans l’histoire du bandit, la femme ne se laisse pas faire et ne se fait désarmer qu’après une longue lutte, on a là par exemple un fantasme bien masculin de la femme conquise de haute lutte. Ou encore, dans la version du samouraï (par la voix d’un medium), la femme demande au bandit de le tuer : il y a peut-être là la réminiscence de dissensions entre eux qui font qu’il la voit aussi perverse. A contrario, dans la version de la femme c’est le samouraï qui se montre sans pitié ni compassion, et qui porte la Faute.
Mais enfin, l’idée du film n’est pas de dénouer l’affaire. Davantage de constater que le réel est vu comme la lumière à travers un prisme. Akutagawa, l’auteur des nouvelles ici adaptées, qui a vécu une époque de transition, voulait peut-être décrire ainsi le monde plein d’incertitudes qui était en train de se dévoiler au Japon en cette fin du 19ème siècle/début du 20ème.
Sinon on ne saurait parler de ce film sans parler de la photo, qui même à mon humble niveau de gars qui voit ça plutôt intuitivement sans avoir fait d’études sur le sujet, semble très soignée. J’ai été notamment assez fasciné par les prises de vue du périple du coupeur de bois en début de film. Kuro alterne les séquences « horizontales » suivant le personnage avec les « verticales » filmant le sommet des arbres. Ca a l’air tout bête dit comme ça mais ça concoure à donner un sentiment d’irréalité et de perte des repères en parfaite adéquation avec le fond du film.
La musique m’a également paru aller dans ce sens. J’avais trouvé une certaine ressemblance avec le Bolero de Ravel, et après vérification, ce n’est pas un hasard. C’est assez hypnotisant (au sens non-péjoratif du terme ^^) à la longue.
Et que dire également de Toshiro Mifune ? il m’a bien plus impressionné ici que dans le château de l’Araignée où j’avais eu un peu de mal avec la théâtralité du Nô. Bien plus instinctif, il fait montre de tout un panel d’émotions… les grimaces primaires du bandit bien sûr, mais pas que.
Enfin il faut dire que pour avoir lu un peu auparavant les nouvelles d’Akutagawa, la fin m’a paru un brin artificielle. Kuro essaie de créer du liant et de dégager malgré tout un sens et une philosophie à tout ça, ce qui n’était pas présent dans la nouvelle. Je conseillerais juste de regarder le film avant la nouvelle si on compte faire les deux, car je ne pense pas que cela pose problème si on le fait dans ce sens.
Globalement, le film est impeccable de maîtrise.
* : en fait 4 maintenant mais c’était bien 2 quand je suis arrivé sur SC.