Le sujet de Colonia s’annonçait passionnant. Il prend place aux prémices du régime de Pinochet, un des régimes totalitaires les plus opaques de l’Histoire, qui a vu un nombre important de disparitions inexpliquées et qui a permis à un ancien nazi d’exprimer, en toute impunité, sa folie en s’érigeant gourou d’une secte où il a pu torturer hommes, femmes et enfants. On avait là les bases d’une histoire tragique, malheureusement authentique, et globalement méconnue qui voyait en Florian Gallenberger, le cinéaste idéal pour lui faire honneur. Il s’est déjà illustré dans le récit tiré de faits réels, avec son réussi mais académique John Rabe en 2009. Et surtout, voulant suivre ici le destin d’un couple au sein de Colonia Dignidad, le lieu de la secte dirigée par Paul Schäfer, l’ancien nazi, il renoue avec son premier film Schatten der Zeit (qui n’est jamais sorti en France), où il s’attardait sur des émois amoureux contrariés par la politique d’un pays. Chose qui fait écho avec l’histoire de Colonia. Tout pouvait laisser penser que, dans la réunion de ces deux styles qu’il affectionne tant, on y trouverait son film ultime. Pourtant la vérité est ici plus complexe et les attentes généralement déçues.


L’approche choisie par Gallenberger se montre très vite handicapante, s’intéressant plus aux péripéties traversées par le couple pris au milieu d’un coup d’état, ce qui a pour cause de délaisser tout ce qui touche aux faits réels. Il use des rouages classiques du thriller romanesque pour chercher l’efficacité du divertissement au détriment de la rigueur du sujet, se laissait volontairement aller au caricatural lorsqu’il s’intéresse à la vie au sein de la secte et surtout au culte mené par Schäfer. Aspect qui est accentué par la prestation outrancière de Michael Nyqvist. Il ne cherche pas les nuances de son personnage et fait un travail de surface. Déjà l’écriture ne s’intéresse jamais à l’étude du mal dont il est capable mais en plus c’est une figure de gourou démoniaque et excentrique comme on en voit souvent. Il est abordé de manière peu originale et même s’il était peut-être vraiment comme ça dans la vraie vie, son traitement ne permet pas de le rendre intéressant. On souligne cependant la bonne idée qu’a eu le cinéaste dans sa façon de suggérer ses crimes avec pudeur, particulièrement en ce qui concerne la pédophilie. Il évoque les penchants du personnage au sein d’une séquence assez glaçante par son regard froid et très détaché mais qui est minutieusement travaillé pour que l’on comprenne sans que ça devienne trop explicite. La scène n’en est que plus malsaine. On regrettera quand même que tout ne soit pas du même niveau, la mise en scène de Florian Gallenberger étant trop superficielle par moments qu’il peine à établir des fulgurances. On pense par exemple à un passage de réunion d’hommes autour d’une femme, qui sont là pour la juger. Le propos est extrêmement fort mais la séquence est filmée de manière tout aussi détachée que le reste ce qui la rend presque anecdotique. Accentuer la tension et avoir une mise en scène plus crue lors de ce passage aurait vraiment pu aboutir à un moment anxiogène marquant.


C’est principalement ce que l’on peut reprocher au film, sa manière de se construire sur des demi-mesures. Chaque bonne idée étant contrebalancée par un défaut qui vient l’amoindrir. C’est le résultat d’une démarche hésitante qui veut offrir une vision réaliste de ce qu’était la vie à Colonia Dignidad tout en édulcorant le propos en plaçant les enjeux au niveau du couple. Un couple qui est finement écrit et attachant surtout grâce aux prestations impeccables de Emma Watson, qui crève littéralement l’écran, et de Daniel Brühl, très en forme. Mais plus que ça, c’est l’alchimie évidente que partagent les deux acteurs qui les rend authentiques, on croit en leur histoire et on a envie de les voir s’en sortir. Ils ont beau être sacrifiés sur l’autel du suspense dans un climax bien trop facile et expédié, prenant la forme d’une banale course-poursuite, ils sauvent l’ensemble par leur présence. La manière dont se conclut le récit reste pourtant difficile à avaler, utilisant un élément exposé dans le prologue sans subtilité, le tout apparaît comme un setup/payoff (présenter un élément anodin qui est voué à jouer un rôle plus tard dans l’intrigue) grossier qui vient faire un pied de nez aux intentions de réalisation qui avaient jusqu’ici régi le film. Dans sa quasi-globalité, le tout est monté de manière à être très posé pour avoir un regard clair et précis sur les événements, notamment dans le prologue qui illustre les violences militaires sur la population. Une fois à Colonia, Gallenberger pousse ça encore plus loin dans un montage totalement mécanique et segmenté en jour – le film présente une pancarte lorsque que l’on change de jour pour montrer le temps que les protagonistes ont passé dans le camp. C’est un moyen assez habile de nous plonger dans la routine très disciplinaire de la secte, de vraiment nous immerger avec les personnages et d’accentuer la redondance de cette vie. Une bonne idée qui sera reniée dans un dernier tiers qui cède à la grandiloquence avec un montage plus sensationnaliste et dénué de toute tension, la fuite des protagonistes étant trop fonctionnelle dans ses mécaniques qu’on ne s’y intéresse pas vraiment.


Colonia est un film qui pouvait prétendre à beaucoup mais qui se contente au final du minimum. On est assurément devant un divertissement plaisant à suivre mais aussi indéniablement décevant dans son absence d’ambitions. La partie romanesque prend trop les devants sur l’Histoire, et même si elle dispose de bons moments de suspense, elle discrédite l’horreur qu’était cette secte et les agissements de Paul Schäfer par son approche trop caricatural des faits réels. Pourtant par sa pudeur et l’intelligence de son montage durant la majeure partie du récit, le film trouve une forme de justesse et met en lumière une réalité effrayante bien trop méconnue. La mise en scène impersonnelle ne lui rend pas particulièrement honneur mais à le mérite de l’illustrer lorsqu’il ne tombe pas dans le classicisme du thriller mais on peut malgré tout compter sur la présence de Emma Watson et Daniel Brühl pour maintenir l’intérêt du spectateur.


Ma critique sur cineseries-mag.fr

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le 23 juil. 2016

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