Cela faisait fort longtemps que je n'avais pas vu un film de Blier et je constate avec bonheur que le plaisir est toujours aussi vif de retrouver cette mise en scène si spéciale, si particulière, inimitable, faite de choix étranges, notamment celui de concentrer les rayons de la caméra sur les visages, les dos, les corps qui parlent.

La caméra est le plus souvent fixe. Quand elle se meut, c'est avec une douceur et une tendresse émouvante, en travelling délicat, doucement, comme à voix basse.
Les acteurs disent leur texte, l'énoncent de manière très rigide. On sent qu'il en coûte aux personnages de parler, d'attendre la réaction de l'autre, en pûre provocation.

La musique des mots chez Blier n'appartient qu'à Blier. Le ticket du voyage n'est semble-t-il pas accessible à tout le monde, à lire les critiques; nombreuses sont celles qui reprochent aux personnages leur manque de morale, leur cynisme, le nihilisme latent du cinéma de Blier. C'est étrange. Mediafilm ici confond son regard de spectateur et celui de Blier. S'il y a un voyeur, il n'est que chez Mediafilm. Le film n'a rien à voir avec une supposée obsession de filmer la femme chez Blier. Ca, c'est de la connerie.

Non, Blier filme l'amour, le désir, l'appartenance à l'autre, le don de soi dans les sentiments, l'intransigeance, les espoirs, les désillusions, les places que l'individu s'accorde ou que la société lui accorde, les liens que l'on s'échine à déchirer, les boulets qui nous enchaînent à notre souffrance et la fragilité des aboutissements.
Ici, il n'est pas question de montrer ad nauseam la beauté plastique de Bellucci (c'est une courte vue, qui passe à côté et même trèèès loin du film en plus d'être totalement en contradiction avec ce que le cinéma de Blier a toujours montré), non, il s'agit plutôt de filmer les incroyables nuances du sentiment amoureux, les émouvantes circonvolutions des liens, la naissance et l'affermissement du désir d'être avec l'autre, l'attachement, la violence et la peur que cela engendre.

La relation Belluci/Campan est superbement filmée, auscultée même. Le dessin est rude, brutal. Blier ne fait pas dans la dentelle. Quand la dentelle se promène sur sa pellicule c'est pour être tiraillée, lacérée, souillée. Mais la salissure chez Blier n'est mise en évidence que pour mettre en exergue la beauté du vrai, de l'évidence. Le sali montre le beau, en contraste. Comme rouge et noir. Sali devient saillant. Salop devient salut. Blier devient beau.

Bien sûr ce n'est pas évident. Le cinéma de Blier n'est pas d'un accès facile, ni universel, il est pouilleux. Il sent mauvais de prime abord. Faut aller le chercher. L'écouter comme une chanson d'une heure et demi.
Je comprends la confusion des sentiments à l'égard de ce film. D'aspect rèche, apre, j'ai envie de dire astringent même, le film ne se laisse pas faire. Mais comme tous les Blier, ce film est un diamant brut, qu'il faut savoir travailler. Je comprends et regrette.

Le cinéma de Blier c'est aussi un cinéma d'acteur. Des numéros de clowns tristes de toute beauté, ce film en offre à foison. J'ai pris un panard terrible devant les scènes de Darroussin. Je découvre une très bonne actrice Farida Rahouadj. Je sirote la prestation de François Rollin, un type fin et massif qui devrait plus jouer. J'ai adoré la justesse d'Edouard Baer.

Au départ réticent à voir la bouille de Campan dans un rôle sérieux, j'ai très vite été épaté par sa gravité et son regard quand il se noie dans celui de Belluci.

Petit bémol avec un investissement de Depardieu que j'ai trouvé moins intense qu'à l'habitude. Bizarre.
Et puis la photo que j'ai trouvé "numérique", froide, télévisuelle par moments (l'éclairage trop vif?)
Alligator
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le 16 févr. 2013

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Alligator

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