Sous la menace d'un fusil de Tchekhov constant et plus qu'explicite, Comme le feu porte bien son titre, tant tout y semble écrit et construit pour attiser les désirs, raviver les braises d'un passé douloureux et les mauvaises fois les plus ardentes, jusqu'à l'embrasement.
Il n'y a ni Rohmer dans ce film (si l'on n'identifie pas les longues scènes de dialogues au maître) ni Délivrance (si l'on n'identifie pas chaque scène de kayak à ce grand film de terreur) comme l'indique Télérama (qu'on avait connu moins adapte des raccourcis faciles), mais, s'il fallait à tout prix chercher une hérédité, on irait plus du côté de Nuri Bilge Ceylan, pour la la rigueur et la volonté de scruter profondément l'âme humaine au contact d'une nature sans pitié, ou de celui de Thomas Vinterberg pour l'ambition quasi sadique de pousser au plus loin la confrontation des personnages et de monter une tension sourde qui n'explosera peut-être jamais (on pense souvent à La Chasse, dans un registre thématique tout autre).
Car avec une distance et lenteur hypnotisantes, Philippe Lesage, couronné à la dernière Berlinade, délivre d'immenses scènes de dialogues et de tension où d'une simple remarque tout peut facilement déraper, où, dans des plans séquences fascinants de justesse, les personnages s'écharpent puis se réconcilient, où sont saisies des bribes de conversations presque iréelles par leur caractère tellement bourgeois, pleinement incarné par l'abondance de nourriture, de réflexions ridicules ("l'avion c'est fascinant, on peut se retrouver sur un autre continent en quelques heures !"), de personnages baudruches (Irène Jacob et Laurent Lucas, royalement et volontairement inutiles). Dans ce jeu de massacre tendu aussi pathétique que glaçant, les vérités s'avouent au fur et à mesure que les verres (nombreux) se vident.
Dans ce film plombé par sa noirceur et son dérapage à la potentialité constante, les personnages à quasi horizontalité ont tous une vérité subjective qu'il n'est pas demandé au spectateur de trancher. Dans cet ample mouvement relativiste, corrosif et si humain, Lesage extirpe des séquences impressionnantes et puissantes, des moments de grâce comme des plus pervers.
Dommage qu'il s'écroule dans ces derniers instants, confus et inutiles, qui vont lorgner vers des genres évitables, traduisant une peine à conclure, car Comme le feu, hanté par une musique spectrale et un Ariel Worthalter brillant par sa noirceur, son impulsivité et la menace paradoxalement rassurante qu'il distille, aurait pu être un très grand film voyeur ; parce qu'il révèle les hypocrisies qui sont la base des relations, souligne le ridicule, exhume un passé destructeur qu'il tente de panser pour dresser finalement une image bien solitaire de l'avenir.