Comme un avion s’annonçait comme un film sympathique. De celui où l’on retrouve avec plaisir une équipe, la fratrie Podalydès, qui sait, depuis plus de quinze ans, distiller avec finesse un regard lucide et tendre sur les remous sentimentaux, les affres du carcan familial, bien entouré de comédiens dirigés avec un tact imparable.
En se donnant le rôle principal, Bruno Podalydès semble assumer pleinement la forte individualité de son nouveau projet, celui d’une fugue en kayak qui métaphorise sans lourdeur ses désirs de singularité dans le paysage formaté de la comédie ou du film d’auteur à la française.
Dès les prémices d’un récit finalement assez convenu (les poids de la routine professionnelle ou conjugale favorisant l’émergence d’un désir de fuite), c’est l’individu qui frappe. En apesanteur, légèrement décalé, son personnage déclenche une tendresse inconditionnelle et immédiate. Sur le fil continu du ridicule et du charme, commentant à voix haute sa propre vie, Michel est un poète modeste qui a compris un élément fondamental, celui qu’il n’a pas de leçon à recevoir, et surtout pas à donner. Il s’agit de vivre en accord, un temps durant, avec les méandres d’un courant qui le portera.
C’est dans cet équilibre ténu que se tient toute la grâce du film : lyrique dans son approche d’une nature qu’on ne cherchera jamais à magnifier, poétique dans sa restitution de rêves qui renvoient davantage à l’enfance qu’à des aspirations prétentieuses, burlesque dans sa désactivation d’une odyssée immobile, le parcours est à la fois atypique et dévastateur d’authenticité. Accroc au matériel et rêveur de sa vie, Michel concentre les contradictions avec le sourire. Les rencontres qu’il fait semblent se faire à l’unisson de son état d’esprit : sans barrières, au fil du courant, et toujours sans tomber dans le piège d’une leçon hippie sur la liberté ou le carpe diem.
Car dans cette utopie éphémère où rien ne s’impose et où l’on dispose, il s’agit surtout de lâcher prise. De se laisser aller à tomber amoureux d’un kayak sur papier glacé, d’inventer une descente vers la mer qui ne cesse de revenir à un hameau rêvé ou le repos du guerrier surgit avant l’effort. De s’effondrer sur l’herbe après avoir vécu au rythme béni de ce qui semble être la vraie vie : la lente fonte de la glace sur un sucre se dissolvant dans l’absinthe.
Comme un avion n’est pas une comédie. C’est loin d’être un drame. C’est la chorégraphie humaine d’individus ayant décidé d’oublier leur pudeur, c’est le sourire bienveillant de ceux restés sur la rive et encourageant l’échappée belle, c’est une nappe enveloppant un corps qui s’offre. C’est une succession de tableaux, magnifiés par une splendide photographie où les tâches mouvantes des individus rouges tracent un sillon dans la verdure édénique.
De ce voyage immobile subsiste cet élan ténu, qui progressivement s’enrichit d’une musique en totale cohésion avec lui, notamment le splendide Venus de Bashung écrit par Manset. Aux boucles de l’idylle sur l’îlot succède ce superbe plan final d’une avancée commune, sur la rive et sur l’eau, d’un couple qui semble partager une valeur suprême et commune, celle de la liberté.
La philosophie apprend une chose que l’on peut ne pas attendre d’elle : d’accepter de ne pas pouvoir expliquer. Cesser d’analyser et ne pas voir de leçon en chaque chose. C’est l’essence même de ce film qui procure à ceux qui se laisseront porter par son flux durant lequel le temps s’abolit un sentiment qu’on croyait disparu des salles obscures, ou réservé aux joyaux d’un âge d’or révolu : le bonheur.