Le petit miracle (petit, hein ? On reste calme) du film tient dans sa façon très étonnante (dans le cinéma français de ces dernières années, en tout cas) d'éviter toutes les facilités et les lourdeurs. A chaque fois qu'on redoute la pesanteur, la répétition inutile, le soulignage superfétatoire, la caméra change d'axe, le montage coupe avec pertinence, le personnage effectue la pirouette salvatrice.
Un peu tout le contraire de ce que nous laisse entrevoir la bande-annonce, au fond.
Alors, le film s'élève à une altitude que tant de films visent mais que si peu atteignent. Un moment drôle et léger qui confine à une sorte de poésie burlesque qui ne nécessite plus aucune explication. La vraisemblance s'efface peu à peu pour laisser à la place à une autre forme de vérité: celle des plaisirs de la chair, des alcools et de l'eau vive, dans laquelle chaque rencontre devient une petite aventure vierge de repères. Un univers où Agnès Jaoui retrouve les charmes de ses 20 ans, où les remorques à Kayak apparaissent par magie, et où les joies de l'escapade possèdent mille vertus thérapeutiques.
Comment, surtout, ne pas s'attacher à Michel (Bruno Podalydès, qui met en scène ici, en employant son frère Denis), personnage rêveur et un peu enfermé dans ses passions solitaires, s'ennuyant mollement dans un métier technologique et soporifique, qui passe son temps à parler tout seul, adepte de jeux de mots foireux (il passe ainsi des nuits planches et n'est pas étonné que quelqu'un rencontré sous un déluge ait plu) capable de découvrir les autres qu'une fois extirpé du confort anesthésiant de son quotidien ?
Avec sa façon de tordre affectueusement le cou d'une époque au visage grisâtre et hypnotique, Bruno Podalydès prend également Héraclite à revers: si on dit qu'on ne baigne jamais deux fois dans la même rivière, Michel ne cesse de repasser par les mêmes rives pour y faire à chaque fois de nouvelles rencontres, même quand il s'agit des mêmes personnes.
Les plaisirs de la découverte de Michel sont entretemps devenus les nôtres.
S'il suffisait ainsi de monter dans un palindrome en forme d'aile pour redevenir automatiquement aussi innocents et bienveillants, nous embarquerions bien plus souvent. Une chouette façon en tout cas d'avoir la pêche en rivière.