Difficile de comprendre pourquoi « At close range » est devenu « Comme un chien enragé » chez nous, tant le chien (Brad Jr) n’est enragé que lorsqu’il est confronté au mal absolu représenté par son père (Brad Sr) en pleine folie de nettoyage meurtrier. Avant cela, c’est au contraire un garçon très doux, détaché, rêveur même s’il passe ses journées avec son petit frère (Chris Penn, belle idée) à fumer des joints, regarder la télé ou réparer des moteurs. Il est surtout bientôt un gamin éperdument amoureux et en lévitation admirative.
Le film me touche beaucoup dans sa première partie, son aspect chronique, d’une banalité quotidienne perturbée par une double rencontre. Car c’est aussi l’occasion pour Foley de raconter une histoire d’amour en filigrane – Et Mary Stuart Masterson est magnifique. Ce n’est pas qu’un faire-valoir, c’est cette rencontre qui ouvre d’abord le film et qui participe au crescendo qu’il impose, que vient renforcer les notes éparses du Live to tell, de Madonna, quasi omniprésentes avant que le morceau ne s’impose entièrement qu’au générique final sur un plan terrible.
James Foley s’inspire d’un fait divers sordide ayant eu lieu à Philadelphie en 1978 : Une bande de malfrats avaient engagés des gamins avant de les liquider sans procès quand ceux-ci étaient devenus trop gênant. Avant d’intégrer cette cruauté, Foley va y apporter davantage de romanesque en créant une étrange dimension père fils. Au point que cet affreux fait divers sera à peine esquissé, relayé par une fascination pour le retour du père, son magnétisme dangereux puis le refus de se plier au mal qu’il occasionne.
Il en résulte moins un film sur les crimes en gestation qu’une autopsie des dysfonctionnements d’une famille pauvre d’une bourgade de Pennsylvanie. Le film sera en priorité l’histoire d’une rencontre tardive entre un garçon et son père – La première apparition de Christopher Walken, le premier regard que lui lance Sean Penn, cette cigarette partagée, l’affrontement électrique final, on sent que les motivations principales du film sont là, quand Brad junior construit un lien fort avec Brad Sr avant qu’il ne le détruise en lui refusant de se soumettre à ses activités criminelles.
Quand il vire aux crimes en rafale, At close range devient tellement extrême – jusque dans sa forme : la renaissance de Brad est hyper esthétisée, par exemple – que je me demande si Foley souhaitait vraiment cela ou bien s’il voulait / devait coller à la violence du fait divers. J’ai l’impression que le film aurait été plus fort encore sans charrier autant de cruauté. Ceci étant, le film préserve son décalage. Les meurtres, en haut de la colline ou dans la voiture (dont la découpe, la musique et les contrastes sont très proches du Fleischer de Terreur aveugle ou du Roeg de Don’t look now) sont raccord avec la scène d’ouverture, ce regard azur magnétique de Sean Penn, qui scrute, se perd, fascine tant. Très beau film.