Difficile de trouver plus sensible et percutant que Mikio Naruse pour décrire la condition féminine dans le Japon du milieu du XXe siècle. Diptyque intéressant formé par Comme une épouse et comme une femme et le précédent film vu Délit de fuite (1966), unis par la présence remarquable de Hideko Takamine et surtout pour le conflit entre deux femmes qui prend son temps pour enfler et exploser à la gueule de tout son microcosme. Dans le film de 1966, c'était suite à un accident mortel et à un mensonge honteux de la part d'une femme appartenant aux hautes sphères de la société que Takamine se lançait dans une quête vengeresse, aussi lente que douloureuse. Ici, c'est le fruit d'une situation relevant du supplice sur de longues années qui la pousse à une prise de conscience dramatique au sujet de sa propre existence. Un passif très lourd : elle est la mère de deux enfants élevés par une autre femme stérile et l'homme lâche coincé entre son statut de mari et d'amant. Toute sa vie elle s'est démenée pour travailler dans le bar tenu par la femme propriétaire, en taisant consciencieusement le secret biologique, et c'est au bout d'un long chemin que la situation lui explose dans les mains, privée de ses enfants, d'un emploi stable, d'un salaire décent.
Le tableau du sacrifice par Naruse est d'une beauté saillante, une tragédie familiale hautement émouvante comme le cinéma japonais sait en produire. La noirceur du propos est assez terrible pour décrire la situation de femmes soumises aux traditions, aux codes imposés, aux non-dits, aux hommes. Naruse prend le temps poser avec soin le cadre initial, jovial en apparence, et le faire évoluer vers la situation finale inextricable. Le récit est aussi complexe que la situation dépeinte, avec des injustices croisées et des maux insoutenables. On appréciera l'absence de manichéisme dans l'écriture des personnages qui ont tous des choses à se reprocher (certains plus que d'autres, certes), ce qui donnera lieu à des vidages de sac mémorables sur la fin entre les deux femmes, toutes les deux particulièrement malheureuses. L'infidélité assumée est posée comme une part notable du problème, lorsqu'elle se transforme comme ici en un symbole aussi acéré de lâcheté chez l'homme et de résignation chez la femme. L'affrontement entre les deux femmes défendant leur point de vue, vers la fin, lorsque les masques tombent, est d'une tension mélodramatique intense. Finalement, ce seront les enfants qui trancheront en gagnant leur indépendance.
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