Dans l'ombre de Kurosawa, Ozu et autres Mizoguchi (en Occident, s'entend), Keisuke Kinoshita fait partie de ces prolifiques metteurs en scène des années 1940-1950-1960, période pour le moins riche en termes de cinéma au pays nippon. Contrairement à la simplicité d'Ozu ou au classicisme de Kurosawa, Kinoshita se distingue de ses contemporains par une profonde humanité dramatique, déjà ressentie dans Les 24 Prunelles, autre excellent film du même réalisateur.
Ici, il est donc question des souvenirs d'enfance d'un vieil homme qui revient à son île natale avant de mourir, comme il le dit lui-même. Kinoshita profite de cette occasion pour se rendre original en décidant de filmer ces souvenirs à travers un objectif spécial, délimité par un cercle pour nous rappeler que ces plans font partie de la mémoire du personnage, qui apparaît de temps en temps au long du film. Cette idée novatrice renforce certainement ce sentiment mélancolique déjà introduit par les mots de l'homme en question, qui récite régulièrement des vers pour le moins tristes. A travers ce trou dans le passé, on comprendra peu à peu l'origine de cette mélancolie profonde, l'homme ayant été privé de la seule histoire d'amour qu'il n'ait jamais eue.
Kinoshita nous dépeint l'histoire d'une relation entre un adolescent et sa cousine, très proches dès leur plus jeune âge malgré la différence d'âge de deux ans. Dans un environnement de campagne montagneuse apparemment écartée de toute grande ville, ces deux personnages vont vivre une sorte de passion silencieuse car interdite par tous les membres de la famille et moquée par les servantes et autres connaissances. Alors que ces deux jeunes gens semblent plein de vie et d'amour pour l'un l'autre, leurs proches semblent prêts à tout pour empêcher que ne se réalise ce qu'ils voient comme de l'inceste tandis que les jeunes adolescents en question n'en ont que faire, eux qui ne peuvent plus penser à autre chose.
Cette histoire d'amour impossible est filmée toute en subtilité, Kinoshita s'insère dans la tradition filmique asiatique qui donne de l'importance autant aux gestes et regards des personnages qu'à leurs paroles. Les silences tantôt tristes tantôt joyeux entre les deux protagonistes montrent à quel point ils sont proches et leur dépendance forte, bien que vouée à être brisée. La fin tragique montre quant à elle combien la violence des traditions japonaises en termes de mariage (à l'époque, les mariages arrangés étaient naturellement fréquents) pouvait avoir des conséquences néfastes. Alors que les coupables ne se rendent compte que trop tard de leur stupidité, ils ne leur reste plus qu'à pleurer. Comme nous, d'ailleurs.