J’avoue posséder en moi une certaine fascination pour le barbare, tant qu’il est à muscles, de préférence exacerbés, en pagnes, de préférence courts, et pas très malin, mais qu’il arrive tout de même à ne pas s’empaler sur son épée. Accompagné de jolies femmes en peaux de bêtes, de préférence.
En fait, j’aime le nanar barbare. J’aime Dar L’Invincible 3, The Barbarians et d’autres encore.
Et Conan le Barbare, père sans le savoir de tant de rejetons un peu débiles, je l’avais un peu laissé de côté dans mon parcours cinéphile. J’ai le souvenir flou et incertain d’un visionnage enfant, sans grandes certitudes. Il me restait la scène où il se fait chatouiller la chair sur un arbre, mais sans les bons détails.
D’ailleurs, Conan pour moi, c’est avant tout les bandes dessinées publiées par Marvel, ces épopées sauvages dessinées par John Buscema ou Barry Windsor-Smith et d’autres, publiées chez Lug, Aredit ou Mon Journal.
Il aurait été dommage de continuer à ne pas rencontrer cette version cinématographique, alors je l’ai invité dans mon salon. Il a été sage, il n’a rien cassé, et peut-être même que j’aurais aimé qu’il le fasse.
Car après avoir vu tant de films plus ou moins inspirés qui lui ont sucé la moelle, il est difficile d’être surpris, le choc sur la tête est adouci. Le parcours proposé, entre le Conan enfant et mis en esclavage puis le grand gaillard qui va chercher à se venger du méchant sectaire et magicien Thulsa Doom est simple, mais efficace. Sa personnalité guerrière et déterminée ne laisse aucun doute sur la suite des événements, les conflits se déferont dans le sang, et ce sera celui de ceux qui s’opposent à lui mais aussi le sien. Deux alliés, Subotai puis Valeria, voleurs aussi, mais peut-être aussi un peu plus, seront là pour épauler le grand gaillard, qui se montrera parfois amical avec eux, d’autres fois prendra ses distances pour aller au bout de ses obsessions.
C’est le rôle qui révèle Arnold Schwarzenegger et ses gros muscles, mais aussi son accent en version originale, bien prononcé. Ce défaut n’en est pas tellement un, dans la mesure où le film fait le bon choix de ne pas le faire trop parler. Conan peut être un bon vivant, il est aussi taciturne, ne comptant parfois que sur sa carrure pour exister, mais se tait aussi pour mieux se faire comprendre, des autres personnages mais aussi du spectateur. A la fin du film, Conan n’a pas besoin de s’exprimer, on perçoit son sentiment devant le fait enfin accompli, et ce qu’il en découle.
Arnold Schwarzenegger débute encore, on peut lui reprocher quelques scènes où il ne semble pas très juste, mais aussi souligner que tout le métrage repose sur sa personne sans qu’il ne le fasse s’écrouler. Il offre une prestation solide, avec une joie parfois enfantine en profitant de ses larcins ou une détermination plus froide quand l’heure se fait plus grave. Peu importe le costume sur lui, entre pagnes et armures barbares, ou même de très jolis peintures noires, Conan en impose. Sur l’écran, il est le roi des barbares.
Et c’est aussi pour cette raison mais aussi pour d’autres que Conan est bien le roi des films de barbares. C’est que malgré la simplicité de son histoire ou son heroïc fantasy aux trucages dépassés, le métrage s’est fait avec la volonté de s’imposer, de marquer le genre.
On pourrait croire que c’est parce qu’il a bandé les muscles, mais ce n’est pas seulement ça. Certes, dans le film, les problèmes ne se résoudront pas par l’échange de fleurs ou contre une remise de dette. Les épées volent, des têtes aussi, et le sang en profite pour s’échapper. Le film était assez violent pour l’époque, et le reste encore un peu. L’idéologie derrière le film pourra questionner, Conan est un individualiste qui gagne par la force, c’est très 80’s. Mais en tout cas les échanges d’amabilités physiques ou armées sont bien présentées, avec une certaine force.
Mais la principale force du film, c’est qu’il ne délaisse pas son sujet, il le prend, il le porte, il l’assume. Conan est un de ces films marquants, qui ont traversé les âges farouches parce que c’est une superproduction, aux nombreux figurants en costumes et avec quelques décors crées impressionnants. Le film semble invoquer les péplums anciens, sous une nouvelle forme, plus sauvage, assurément brutale. Mais aussi parce que c’est un film soigné, réalisé par John Millius qui ne voulait pas en faire un énième film d’exploitation. C’est un cadre, évidemment, avec ses beaux et désolés paysages (espagnols) et des reconstitutions de temps anciens et fantaisistes, où la férocité du monde est sans cesse rappelée.
Mais alors que d’autres réalisateurs tenteraient d’aller au plus court, mais aussi au plus évident, le montage du film sait aussi bien proposer des moments plus chargés en testostérone que des séquences plus calmes, à l’image de cette conclusion après la confrontation avec Thulsa Doom, où Conan s’interroge sur son devenir. Le métrage prend son temps, s’étend à 2h sans forcer, et se risque même à certaines ellipses que d’autres cinéastes auraient conservées. Quand Valeria prend la place d’une membre du culte, on la voit se rapprocher d’elle, puis on la retrouve habillée, son geste de substitution n’est même pas montré. Quand le groupe de Conan s’enfuit de la tour, on les voit sauter, pour mieux les retrouver profitant de leur mauvais tour. Le film sait ce qu’il veut montrer, il a confiance en lui, tout comme Conan est déterminé, et cette assurance, d’un bout à l’autre, nous transporte.
Cette assurance se couple à un souffle épique, au sens de l’aventure qui est rythmé par l’une des plus célèbres bandes sons du cinéma. Basil Poledouris offre des airs incroyables, déterminés et épiques, qui hissent encore cette épopée vers le haut. Quelle injustice que cette musique n’ait pas été récompensée, tout comme le film d’ailleurs, peu primé. Mais le côté sulfureux de ce barbare vengeur a pu créer quelques grimaces chez les détenteurs du bon goût. La nomination d’Arnold aux Razzie Awards de cette année en tant que pire acteur est cruelle.
Le film n’est pas parfait, quelques défauts dus à la patine du temps sont apparus entre-temps. Et à force d’être imité ou ridiculisé, la surprise n’est plus la même. Mais Conan le Barbare, épique film, lève son épée bien haut, avec courage et détermination, comme rarement un tel film pouvait se le permettre. John Millius et son épique ont fait un travail remarquable, Arnold Schwartzenneger est convaincant, forgeant la légende de Conan sur les écrans.
Sa suite partira sur une direction moins sèche, plus accessible, divertissante mais sans l'éclat sauvage du film John Millius.