Le cinéma de Mandico n’arrêtera jamais de nous surprendre. Après ses excellentes œuvres que sont Les Garçons Sauvages, Ultra Pulpe et Afterblue, le réalisateur revient, et à un niveau supérieur. Disons qu’ici, le scénario n’est plus prétexte à la mise en scène, mais elle est partie intégrante de l’histoire qui nous est racontée. D’où ma note, reflet d’une expérience cinématographique unique, qui irrite autant qu’elle fascine.
Comme dans chaque film de Mandico, les hommes sont joués par des femmes. Dans ses autres films, on pouvait reprocher à ses personnages un manque de profondeur, étant souvent objet d’une ambiance, au même titre que les effets de montage.
Chaque vie, représente une tranche d’âge de Conann, ses vies sont mobiles, voyagent à travers les âges, car l’unicité d’un corps relève de ses contradictions, d’un ensemble vécu, et le passage à un autre âge est pure incarnation d’un degré d’évolution, et pour chacun de ces degrés, des changements, certaines choses restent, d’autres partent. Conann représente ce désordre mental, tout en suivant de manière déconstruite, le périple de Conann le barbare, qui est ici LA barbare.
Mandico est un cinéaste moderne, suivant de très près les mouvances de son époque, mais il n’hésite pas à s’inspirer des mythes, car c’est ces derniers qui nous forgent, et qui sont métaphoriquement pour Mandico, représenté par Conann.
Bien que toutes les actrices incarnant pour chacune une des vies de Conann, soient formidables, tant par ce qu’elles prononcent, que par cette manière onirique qu’à Mandico de les diriger, le personnage de Rainer est sans doute la meilleure chose du film. Etant la mémoire de Conann, et représenté par une tête de chien, c’est celui/celle qui transcende ses vies, les poussant dans leurs retranchements, dans leurs contradictions, usant à sa guise du concept du manichéisme, pour justement créer une seule entité qui renfermerait les deux pôles : le bien et le mal.
Le réalisateur se fait plaisir au niveau de la technique : surimpression, longs travellings, personnages devant des écrans créant de magnifiques mises en abyme, et évidemment le choix de tourner certaines scènes en couleur et d’autres en noir et blanc, mais pas anodinement.
En effet, la vie existe par la mort, la mort est renaissance, elle est partout, la barrière entre la vie et la mort passe par l’expressionnisme, d’où l’utilisation du noir et du blanc pour caractériser ces abîmes, où seul le chaos règne.On pense fortement au Septième Sceau, mais aussi à L’enfer de Dante, dont certaines scènes semblent évoquer le film de 1911, réalisé par Padovan, Bertolini et de Liguoro.
Ces abîmes contrastent fortement avec les scènes en couleur, évoquant le purgatoire. Peu importe le lieu, Rainer, vision fassbinderienne de la mort, est là, le paradis paraît si lointain, mais pourrait être en réalité si proche. Après After Blue et son paradis sale, difficile de ne pas constater qu’il a une fascination pour l’entre-deux mondes.
La BO est magnifique, onirique et angoissante, comme l’ont été celles de ses autres films, composé par le grand Pierre Desprats, qui, comme à son habitude trouve les bonnes notes, entre mysticisme et sensualité.
Mandico ajoute à son film des scènes très sensuelles entre les différent.es protagonistes. C’est sans doute son film le moins érotique, se limitant à des baisers, mais chacun, sublimé par l’ambiance sonore, arrive comme un évènement majeur, comme un climax à part entière.
Par moment, Mandico se permet des errances, l’oubli du narratif pour se focaliser simplement sur du lyrisme pur, revenant à la forme première du cinéma : l’image, le son et le montage.
Brillant.