Pourquoi ce malgré tout ? À cause du twist final qui peut susciter toutes les réserves qu'on peut imaginer, particulièrement celle de tomber dans l'invraisemblance, le ridicule, voire le grotesque. Cela a d'ailleurs été ma première réaction : encore un film qui vise à discréditer le catholicisme et la papauté ! Et puis, à la réflexion, j'ai pensé qu'il ne fallait pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Conclave est un excellent thriller. On ne s'y ennuie pas une minute. Cette élection d'un nouveau pape est passionnante. On se demande vraiment lequel de ces 103, pardon 104, cardinaux va finalement obtenir les deux tiers des voix nécessaires, étant entendu que les vrais prétendants ne sont que quelques uns, tout au plus cinq ou six. Qui l'emportera des traditionnalistes ou des progressistes ? Des ambitieux pleins de certitude ou de ceux qui, rongés par le doute, veulent quand même sincèrement, courageusement construire un avenir pour la foi et l'église catholiques ? On va d'un rebondissement à l'autre : c'est un vrai thriller et "it's a war !" (une lutte à couteaux tirés), comme l'affirme le 2ème plus ancien cardinal (Bellini) au doyen et organisateur du conclave (Lawrence). Au plan esthétique, le film est franchement magnifique, tant par ses décors (qui reconstituent superbement l'intérieur du Vatican, la Chapelle Sixtine, ses splendeurs, etc.) que par ses costumes : les soutanes rouges, les chasubles ouvragées des cardinaux sont hyper-photogéniques et contrastent avec les tenues sévères des Sœurs qui s'occupent, en toute discrétion et modestie, de leurs nourriture et literie. Certaines scènes sont admirablement cadrées et photographiées, par exemple quand on voit en contre-plongée les 104 cardinaux, soutanes rouges et parapluies blancs ouverts en ombrelle, avancer dans la grande cour découverte du Vatican en direction de la Chapelle Sixtine, pour ce qui sera sans doute l'ultime tour de scrutin de l'élection papale. Les acteurs et actrices, qui interprètent les principaux ecclésiastiques, sont pour la plupart très bien castés. Ralph Fiennes en cardinal Lawrence déterminé à ce que le nouveau pape soit digne de son prédécesseur est remarquable d'intelligence, de force et de sensibilité. Stanley Tucci, en cardinal Bellini, est excellent également (et je ne m'y attendais pas). Isabella Rossellini est franchement parfaite en Sœur Agnès, beaucoup de sobriété dans son jeu. J'ai trouvé ces trois-là magistraux. Les autres sont très bons aussi, mais à un degré moindre. Je suis très attentif, fasciné, et assez souvent épaté, par le montage des films et j'ai trouvé celui-ci d'une fluidité et habileté miraculeuses. Un petit bémol quand même pour la mise en scène de l'attentat, quelque chose ne m'a pas convaincu dans cette scène sans que je puisse dire quoi précisément (c'est à la fois trop spectaculaire, trop figé et trop propre). Quant à la musique, c'est typiquement une musique de thriller : palpitante, et le montage son/image fonctionne nickel. Bref, on pense ce qu'on veut du dénouement dont le sensationnalisme peut certes heurter les sensibilités catholiques les plus ombrageuses, il n'empêche que ce Conclave d'Edward Berger (adapté du roman éponyme de Robert Harris) est un très beau, très bon film. Qu'il soit oscarisé ne me semblerait pas immérité.