Le type en charge de la création de la bande annonce de Conclave est un génie : il nous présente un film magistral, mélange de thriller « high brow » (intelligent, quoi !) et de film « art et essai » ambitieux à la mise en scène brillante. Le problème est que ce n’est pas lui qui, visiblement, a réalisé le film, mais le tâcheron allemand Edward Berger, qui avait déjà transformé A l’Ouest rien de nouveau en film banal n'ayant rien de particulier à montrer ou à dire. Et que Conclave est un objet superficiel, vaguement ennuyeux, risible à force d’empiler les stéréotypes anodins, qui ne justifie aucun des superlatifs grotesques (signés quand même par des gens dont la cinéphilie n’est pas notoire !) alignés sur son affiche.
Conclave est tiré d’un livre de Robert Harris, un écrivain britannique plutôt sérieux, qui base ses best-sellers sur des faits historiques : il suffit de rappeler qu’il est l’auteur de The Ghost, le livre ayant permis à Polanski de réaliser l’un de ses tout meilleurs films, The Ghost Writer, pour, sans avoir lu son livre, imaginer qu’on peut le dédouaner des grossièretés du scénario du film.
Conclave se passe au Vatican, durant une période d’élection d’un nouveau pape, après le décès du « souverain pontife », et suit le travail complexe du Doyen Lawrence, en charge d’organiser et de « manager » ce processus en huis clos, à la fois totalement ritualisé et, comme toute entreprise « politique » humaine, ouvert à toutes les dérives. Comme on ne peut pas filmer à l’intérieur du Vatican, le décor a été impeccablement recréé dans les studios de Cinecittà, et la précision des costumes, des cérémonies, des comportements montrés à l’écran confèrent au film une crédibilité totale ; enfin, disons qu’on s’imagine parfaitement que tout se passe exactement de cette manière, « dans la réalité »… Peut-être à tort, il est bien possible qu’il s’agisse « en vrai » de journées d’orgies et de débauche au Dom Pérignon avec des esclaves sexuels de tous sexes… ce qui serait en fait plus cohérent avec le comportement historique de l’Eglise catholique !
Comme l’interprétation générale est impeccable, avec des pointures comme Ralph Fiennes, Stanley Tucci, John Lithgow, Isabella Rosselini ou Sergio Castellitto, il est impossible de reprocher au film quoi que ce soit au niveau formel, sinon peut-être l’académisme poussiéreux de la mise en scène de Berger, ce qui ne surprendra d’aucune manière ceux qui connaissent son « cinéma » (le seul plan stimulant est une copie pure et simple des constructions visuelles élaborées de la série The Handmaid’s Tale). A la limite, même l’ennui léger qui flotte sur le film – qui aurait gagné à être réduit d’un bon quart d’heure – peut être légitimé par la réalité de la situation des « sequestrés » qui tournent en rond entre quatre (beaux) murs en essayant de résoudre la quadrature du cercle.
Et la « quadrature du cercle », c’est-à-dire l’impossible équilibre entre les réformateurs d’une Eglise dont on connaît bien les péchés, et les traditionnalistes qui veulent revenir en arrière vers… la tradition, c’est à la fois un sujet passionnant et l’ENORME défaut d’un film qui ne sait que caricaturer des questions complexes. En résumé : tous les réformateurs sont des mecs sympathiques, et plutôt anglo-saxons, ou au moins latino-américains, tandis que tous les traditionnalistes sont des ordures abjectes, en général européens ou africains anti-homosexuels ; les femmes sont globalement des victimes, mais restent l’avenir du catholicisme ; quant au fameux twist final, que les cinéphiles aguerris auront quand même vu venir de loin, il est purement et simplement hilarant, tant il sent à plein à nez la démonstration idéologique « dans l’air du temps ». Pour qui est entré dans la salle en rêvant d’un minimum d’ambigüité et de complexité – alors qu’on sent très bien que des gens comme Fiennes et Tucci sont à deux doigts de nous offrir ce genre de délices, si seulement le script les laissait faire… – le réveil est douloureux.
En résumé, c’est une véritable catastrophe que cette accumulation de clichés qui caressent le spectateur lambda dans le sens du poil. Et ce ne sont pas deux lignes de dialogues, rappelant le passé nazi d’un ex-pape et la bienveillance du Vatican vis à vis de ses troupes pédophiles, qui changent quoi que ce soit à l’affaire. On se dit en sortant de Conclave qu’une simple représentation, sans jouer au thriller ni ménager de twists pourris, de la réalité de ces élections si particulières aurait pu donner un grand film. Mais il n’aurait pas fallu non plus le confier à un Edward Berger…
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/12/08/conclave-de-edward-berger-election-piege-a-c-s/