L’avis de la presse semblait unanime avant même sa sortie : Conclave est un grand film. Un postulat en forme de guillotine qui conditionne sa réception par le spectateur et parque les potentiels mécontents dans des cases faciles témoignant davantage de la paresse intellectuelle des inquisiteurs de la religion progrès que du caractère rétrograde ou réactionnaire de ses contestataires. Mais nous y reviendrons.
Car ce qui fait de prime abord l’intérêt de Conclave, ce qui lui permet de se démarquer de la simple provocation de base, c’est bien le nom de son réalisateur. Révélé aux yeux du grand public par son percutant remake de A l’ouest rien de nouveau, dans lequel Edward Berger faisait montre d’une réelle maîtrise et d’un irréfutable talent, il allait de soit que son projet suivant, Conclave donc, allait polariser les regards des cinéphiles. Et forcé de constater que le cinéaste confirme les attentes placées en lui. Outre la très belle photo de Stéphane Fontaine, Le réalisateur allemand compose une mise en scène jouant sur le gigantisme des lieux, reflet du poids des règles et de l’institution de l’Eglise romaine. On sent ce poids peser comme une croix sur les épaules des personnages et en particulier du cardinal Lawrence, sur qui repose la lourde tâche de présider ce conclave. Il se dégage par conséquent du film une véritable tension qui l’impose comme un thriller politique de qualité. Edward Berger s'intéresse ici au versant institutionnel du Vatican en nous présentant ce qui n’est guère excessif d’appeler des technocrates de l’Eglise catholique, de véritables politiciens davantage préoccupés par ce qui s'apparente à des programmes politiques que par la communauté des croyants. Ainsi, ce fameux progressisme érigé en religion nouvelle devient la ligne directrice qu’une poignée de "gentils" cardinaux gagnés par l’idéologie du monde occidental actuel, cherchent à imposer aux catholiques du monde entier. Mais si le croyant que je suis se permet d’émettre cette interprétation, quelque peu cavalière sur la fin j’en conviens, ce n’est sans pour autant se leurrer sur la réelle identité du prisme à travers lequel le réalisateur conçoit son récit. Car Berger, comme on pouvait le craindre, s'érige en donneur de leçons, pointant aussi rapidement que grossièrement du doigt les gentils et les méchants de l’histoire sans que cela ne serve jamais une quelconque réflexion, il y a là simplement un manichéisme primaire, viscéral, animal qui ne laisse et ne doit surtout pas laisser d’espace à une quelconque remise en question de ce que notre conteur, produit et reflet par excellence d’un monde désacralisé et idolâtrant désormais l’utopique progrès, a défini comme étant le Bien et le Mal. Cette certitude professorale est d'autant plus étonnante que la question du doute tient sa place dans le film. Le doute comme condition d’une foi vivante et saine pour évoquer le mot de l’écrivain Miguel de Unamuno. Une réflexion bien trop timide mais néanmoins présente et visant ouvertement une tradition catholique incarnée par l’abominable cardinal Tedesco, présenté de façon on ne peut plus manichéenne comme un véritable antéchrist. Berger vante ainsi les vertus du doute, en Dieu, en l'Église, en une tradition deux fois millénaire surtout, et pourtant jamais ne formule le moindre de ces nombreux doutes à l’encontre du "camp du Bien", de cette Église progressiste incarnée par les cardinaux Lawrence, Bellini ou Benitez. Autrement dit, nous pouvons et nous devons douter de tout, même et surtout de ce qui nous dépasse ou nous précède, mais jamais ô grand jamais du sacrosaint progrès. C’est du moins ce dont semble être convaincu un cinéaste vraisemblablement en phase avec son époque, tant sur le plan cinématographique qu’idéologique. Lui qui le temps d’une homélie nous met en garde contre les dangers des certitudes conduisant souvent aux pires totalitarismes, apparaît de manière évidente comme incapable de questionner les siennes et plus largement celles du monde moderne, car c’est le propre des certitudes de ne jamais avoir se justifier ou se questionner puisqu’étant par définition des certitudes. Dans son incapacité totale à réfléchir, à penser et à questionner son manichéisme, le condamnant à la pire des caricature (gentils progressistes contre très méchants traditionalistes rétrogrades, le tout sans la moindre forme de nuance), le film m’évoque le Kingdom of Heaven de Ridley Scott, avec sa réflexion d’enfant de cinq ans, ses méchants templiers fanatiques et ses gentils démocrates bobos. Cette démarche atteint le paroxysme de l’absurde dans un final en forme de provocation, au cours duquel le décidément formidable cardinal Benitez, fraîchement élu Pape, nous révèle avec un aplomb jamais vu son syndrome de pseudo-hermaphrodisme masculin. Pourquoi en effet ce besoin d’ajouter cet élément au film si ce n’est par pur désir malsain ? Pour provoquer le catholique ? D’autant plus que la mention de l’originalité anatomique dudit cardinal Benitez ne fait guère avancer le propos, si tant est qu’il y en ait un. Alors bien sûr, j’imagine qu’il s’agit là d’une façon pour le cinéaste de prôner la sacrosainte tolérance chère à notre époque de progrès, et qui ne saurait être partagée par l’abominable cardinal Tedesco. L’idée est belle, et si simple présentée comme telle, mais dramatiquement éloignée du réel. Un réel qui a vu le bon Pape François, Pape du progrès par excellence, excommunier l’archevêque conservateur Vigano car ce dernier avait eu le malheur de s'inscrire en rupture avec la ligne (politique) du Saint Père. Ainsi, la vérité sur ce Conclave est qu’il s’agit d’un film dont la seule ambition résume à merveille les conflits intérieurs qui minent un Occident tiraillé entre un désir de continuité historique, culturelle et cultuelle légitime, et un monde "nouveau" voué aux dieux Progrès et Consumérisme, une idée nouvelle désireuse de tirer un trait sur ce vieux monde et ses croyances poussiéreuses qui constituent autant d'obstacles sur le chemin de la nouvelle religion, et dont la Sainte Eglise catholique constitue encore le plus symbolique des bastions, et donc celui qu’il est urgent d’abattre en le progressisant pour mieux le vider de sa substance deux fois millénaire, comme meurt un vieux chêne dont la sève ne circule plus.
Il n’y a dans Conclave pas le moindre questionnement, seulement une leçon érigée en vérité et martelée de plus en plus fort par une croyance nouvelle, fragile et dépourvue de transcendance, à une religion, vieille, digne, solide, sur laquelle s’est fondée une des plus brillantes civilisations de l’histoire humaine et qui imprègne encore tellement ce monde qui voudrait pourtant lui faire rendre gorge. Le talent de metteur en scène d’Edward Berger a beau ne faire aucun doute, il n’en demeure pas moins que mis au service d’un agenda idéologique révolutionnaire et profondément provocateur, ses prouesses formelles en ressortent indubitablement ternies.