Initiée en 2013 par James Wan, la saga Conjuring s’inscrit dans ce que l’on pourrait appeler un “univers étendu” qui trouve son origine dans le film Insidious, signé par le même cinéaste deux ans plus tôt. Le but est de créer tout un monde horrifique à travers des films reliés entre eux, qu’ils fassent partie d’une saga (Insidious, Conjuring, Annabelle) ou non (La Nonne). Le projet est intéressant, même si l’on peut se poser des questions sur la cohérence de l’ensemble.
Prétendant adapter un dossier du couple Warren, des spécialistes en sciences occultes, le premier film Conjuring ne se démarquait pas par l’originalité d’une histoire somme toute très classique, mais il était bâti sur un crescendo puissant qui nous entraînait vers un final en feu d’artifice horrifique. La suite était déjà moins puissante mais a créé un personnage maléfique intéressant.
Et nous voici donc avec le troisième opus de la saga, le premier à ne pas être réalisé par Wan lui-même. Alors, franchement, on peut comprendre que le réalisateur ait de nombreux projets (dont Aquaman 2), mais de là à refiler le bébé à Michael Chaves… Le même Michael Chaves qui était très loin de nous avoir convaincus avec son précédent film, La Malédiction de la dame blanche. Eh ben, ici, on retrouve tous les défauts de cet opus…
Ce Conjuring : sous l’emprise du diable est l’adaptation d’un cas authentique, l’affaire Arne Cheyenne Johnson, surnommée “the devil made me do it” (“le diable m’a forcé à le faire”). Le cas est devenu célèbre car, pour la première fois aux USA dans un procès pour meurtre, la défense plaidait non-coupable pour cause de… possession démoniaque.
Tout commence au sein du foyer Glatzel. Le benjamin de la famille, David, est possédé depuis plusieurs mois. Ed et Lorraine Warren ont été appelés pour pratiquer un exorcisme qui s’avère d’une violence telle que Ed Warren sera terrassé par une crise cardiaque. Hospitalisé dans un état grave, il ne peut témoigner de ce qu’il a vu : si le démon a bel et bien quitté le jeune garçon, l’affaire n’est pas finie pour autant, car il a intégré un autre corps, celui d’Arne Johnson, le petit ami de la grande sœur de David.
Cette scène d’ouverture prétend sans doute nous terrasser sous un déluge de trucages et un montage brutal. Mais elle est surtout symptomatique de ce qui va mal dans ce film (et dans une bonne partie de la production horrifique de ces dernières années en règle générale). Michael Chaves doit penser qu’il est inutile de planter une ambiance propice à l’horreur et que les effets spéciaux suffiront à implanter l’angoisse chez les spectateurs. Le résultat est sans appel : pas un seul instant, ni dans cette scène d’ouverture ni dans la suite du film, le cinéaste ne parvient à faire peur. Ce Conjuring : sous l’emprise du diable peut éventuellement susciter l’intérêt à un ou deux moments, pour un public pas trop exigeant, mais en aucun cas la peur ou l’angoisse ne sont présentes. Chaves cherche à privilégier le rythme, enchaînant les scènes à toute vitesse, et délaissant tout travail sur l’ambiance.
Du coup, sans doute conscient de ce souci, il cherche à pallier ses lacunes à grand recours d’effets spéciaux éculés que les habitués des films d’horreur ont déjà vus et revus des centaines de fois : jump scare, lumières qui s’éteignent d’un coup, visages qui apparaissent subitement dans le coin sombre, là-bas, tout au fond, images distordues, etc. Des procédés identiques sont appliqués aussi au jeune Arne : pour montrer qu’il est possédé, on lui fait un sur-maquillage blanc, des cernes sous les yeux, etc. Bref, un déluge de trucages qui ne parviennent jamais à rattraper l’incapacité à planter une ambiance angoissante.
Sur le plan du rythme, Conjuring : sous l’emprise du diable file à toute vitesse. Or, cela a tendance à desservir le film. En effet, lorsqu’apparaît une idée intéressante, elle est à peine effleurée puis disparaît, remplacée par une autre séquence. Ainsi, la question du statut juridique de la possession est un débat très intéressant. Le dialogue avec l’avocate déplace l’action au point de rencontre entre la foi et la preuve scientifique. Là se dessine une piste intéressante, avec une mission assignée aux Warren : prouver, d’une façon juridiquement acceptable, la possession diabolique. Voilà qui promettait quelque chose d’un peu plus original…
… mais qui fut vite abandonné. Au lieu de chercher cette preuve juridique, les Warren vont enquêter sur une autre affaire. Puis ils vont chercher l’identité du maître sataniste. Et ainsi de suite. Le scénario fait feu de tout bois, mais rien n’aboutit. Finalement, lorsque l’on retourne au tribunal, à la fin du film, il n’y a plus aucun lien logique avec ce qui s’est passé précédemment, le jugement arrive comme un cheveu sur la soupe et plus rien n’est compréhensible.
Bien entendu, les révélations qui émaillent l’enquête des Warren ont tendance, elles aussi, à sortir de nulle part et constituent autant de facilités scénaristiques.
Du coup, qu’est-ce que le film a pour lui ?
L’interprétation de Patrick Wilson et Vera Farmiga est une réussite. Les deux acteurs, qui interprètent le couple Warren dans l’ensemble de cet univers, tiennent bien leurs personnages. Les amateurs de la série Fringe retrouveront avec plaisir l'acteur John Noble. Ensemble, ils constituent sans aucun doute ce qu’il y a de plus réussi dans ce film.
En bref, Conjuring : sous l’emprise du diable se révèle être un film froid, dépourvu d’émotions, mal ficelé.
[Article à retrouver sur LeMagDuCiné]