J’adore la langue japonaise. Douce et mignonne dans sa locution, j’y trouve toujours un caractère enfantin bien agréable à écouter, que je ne trouve nulle par ailleurs. Néanmoins, comme dans toutes les langues, elle peut être utilisée par des gens sérieux. Au travers d’une langue aussi douce peuvent donc se communiquer des choses graves et difficiles. Ce nouveau Ryusuke Hamaguchi se rapproche de ma définition de cette langue. Le film est d’une très grande légèreté et peut même s’avérer naïf, pourtant quand on le perce on y trouve un message assez pessimiste sur la façon de vivre et de voir notre vie.


Dans ce film Ryusuke nous décline en trois épisodes, s’apparentant à des facettes indépendantes d’un diamant, des histoires courtes tournant chacune autour d’une femme. D’un triangle amoureux inattendu, à un piège à séduction raté jusqu’à une rencontre qui résulte d’un malentendu, dans Contes du hasard et autres fantaisies, il n’est pas question d’une même famille, d’une même ville ou bien d’un lien aussi évident, mais traite d’histoires d’amour dont le passé rebondit dans le présent. Au centre de ces trois facettes inestimables se trouvent Meiko, Nao et Moka, trois femmes prises dans une situation qui voit intervenir un amour passé dans leur quotidien. Comme souvent chez Hamaguchi, l’intrigue débute une longue plage de dialogues. Par exemple, dans la première histoire, le rythme est d’abord très lent. Les deux amies partagent un taxi qui les ramène chez elles après une séance de photos et le spectateur assiste à l’entièreté de la conversation, comme dans Drive My Car, du même réalisateur. Ce n’est qu’à la fin du dialogue, à la fin de la mise en bouche, que s’opère une rupture dans le récit et une accélération du rythme permettant de dévoiler tout à coup une très fine complexité, et un propos passionnant, que ce soit dans la première histoire ou dans la troisième.


La sensibilité de Hamaguchi est très frappante dans ce film, même si le fond est tout aussi sérieux. Le troisième conte en est l’exemple parfait. Quand une quarantenaire vient retrouver son seul amour, perdu à la fin du lycée, on ressent qu’il ne peut plus y avoir de tempêtes entre les personnes les plus âgées dont la colère fait place à une douceur merveilleuse distillée avec la grâce de celles qui ont déjà beaucoup vécu mais aussi perdu en chemin. Les deux femmes jouent, elles prétendent être quelqu’un d’autre, après s’être trompées sur leurs identités respectives. Elles ne sont pas les camarades de classe qui chacune de leur côté ont changé leur vie. Peu importe, il est temps de guérir, de pardonner et de ne plus vivre dans ces moments douloureux qui ont trop troublé la trame de leur vie. En quelques petits détails échangés, une accolade et autant de sourires, le bonheur a pris la place du poids de la douleur emmagasinée. Sur le chemin de cette rédemption se trouve la seconde histoire, tel un pont entre les deux rives opposées que je viens de décrire. C’est aussi la plus étrange, racontant Nao, une jeune mère reprenant ses études, fréquentant un amant plus jeune, et fascinée par un professeur auteur à succès. La frustration qui ourle chaque histoire et la sensibilité d’Hamaguchi, prend ici la forme d’un rejet par l’écrivain qui repousse Nao.
Ryusuke Hamaguchi décrit à merveille toutes les étapes du dépit amoureux, de ses prémices à la douleur, jusqu’à la rédemption par une bienveillance et un esprit enfantin retrouvé qui guérit et réjouit plus qu’on ne pourrait le croire possible.


Je ne vais pas monter sur mes grands chevaux et vous dire qu’il s’agit du plus grand film du cinéaste, non et non, ce ne serait qu’idiotie. Chacun a ses films préférés mais dans mon cas, je ne peux reconnaître qu’une chose, j’ai pu voir une œuvre magnifique où un cinéaste mature use du plein potentiel des histoires courtes pour nous conter une histoire émouvante et dense dans son fond. Et c’est bien là l’essentiel.


(7/10)

TangoCritiqueTrop
7

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le 26 mars 2022

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