Réalisé par Ryusuke Hamaguchi et sorti en 2021, Contes du hasard et autres fantaisies (Wheel of Fortune and Fantasy) est une anthologie poétique en trois parties, qui explore avec une finesse rare les méandres des relations humaines, des rencontres fortuites et des conséquences imprévisibles du hasard. En offrant une mosaïque de récits simples en apparence, Hamaguchi parvient à capturer la complexité des émotions, des non-dits et des choix imprévus qui bouleversent la vie de ses personnages. Avec ce film, le réalisateur confirme son talent pour tisser des histoires intimes et profondes, tout en évitant les artifices narratifs pour se concentrer sur la vérité émotionnelle des relations humaines.


Contes du hasard et autres fantaisies se distingue par sa maîtrise de la narration et par la subtilité avec laquelle Hamaguchi aborde les thèmes du désir, du regret, et des connexions imprévues. Les trois segments du film, bien qu'indépendants les uns des autres, partagent une sensibilité commune, celle d’un monde où les petits hasards de la vie peuvent conduire à des révélations inattendues, des malentendus profonds, ou des rencontres qui redéfinissent la perception que l’on a de soi-même et des autres.


Le film est structuré en trois chapitres, chacun abordant une situation différente, mais tous liés par un fil conducteur : le hasard et les choix fortuits qui peuvent influer sur le cours d’une vie.


Premier acte : "Magie (ou quelque chose d'autre)"

Le premier segment suit Meiko (Kotone Furukawa), une jeune femme qui découvre que son amie Tsugumi (Hyunri) est tombée amoureuse d'un homme qui n'est autre que son ancien amant, Kazuaki (Ayumu Nakajima). Dans un mélange de jalousie et de nostalgie, Meiko décide de confronter Kazuaki, et cette rencontre inopinée entre deux anciens amants donne lieu à une scène fascinante où les souvenirs, les émotions passées et les désirs refoulés remontent à la surface. Ce premier conte met en lumière la manière dont les relations du passé continuent d’influencer le présent, et comment une simple conversation peut révéler des vérités cachées.


Hamaguchi excelle ici dans la manière dont il orchestre les dialogues, jouant sur les silences et les malentendus pour créer une tension émotionnelle palpable. La confrontation entre Meiko et Kazuaki est un exemple brillant de la manière dont Hamaguchi explore les dynamiques de pouvoir et de vulnérabilité au sein des relations humaines. Le titre de ce segment, "Magie", renvoie à l’idée que les interactions humaines sont souvent chargées d'une mystérieuse alchimie, où l'attirance et le désir restent imprévisibles.


Deuxième acte : "La porte ouverte"

Le deuxième segment, "La porte ouverte", est centré sur un professeur de littérature, Segawa (Kiyohiko Shibukawa), victime d'un piège tendu par un de ses élèves, Sasaki (Shouma Kai), qui envoie une ancienne amante, Nao (Katsuki Mori), pour le séduire et lui tendre un piège. Ce segment explore les dynamiques de séduction, de manipulation et de vengeance, tout en posant des questions sur le pouvoir des mots et des intentions. La scène de la lecture à haute voix, où Nao récite un passage érotique tiré du roman de Segawa, est à la fois troublante et fascinante, et montre la manière dont la littérature et le langage peuvent être utilisés pour manipuler, séduire, et révéler des vérités cachées.


Ce deuxième conte, plus sombre, aborde la question de l’éthique, de la responsabilité et des conséquences des actes impulsifs. Hamaguchi joue ici sur une tension subtile entre les personnages, et la lente évolution de leur relation montre comment une rencontre fortuite peut avoir des répercussions durables sur la vie des individus. Le hasard de cette situation ouvre des portes émotionnelles que les personnages n'avaient pas anticipées, transformant leur rapport à eux-mêmes et aux autres.


Troisième acte : "Encore une fois"

Le troisième et dernier segment, "Encore une fois", est sans doute le plus mélancolique et émouvant du film. Il raconte l'histoire de deux femmes, Moka (Fusako Urabe) et Nana (Aoba Kawai), qui se retrouvent par hasard des années après leurs études. Mais très vite, un quiproquo survient : Moka se rend compte qu'elle a confondu Nana avec une ancienne camarade d’école. Malgré cette erreur, les deux femmes continuent de se confier, et une étrange connexion se développe entre elles, malgré le fait qu’elles ne se connaissent pas vraiment.


Ce troisième segment est une magnifique réflexion sur la solitude, la mémoire, et les regrets. Il montre comment deux inconnues peuvent partager des moments d'intimité intense, même si leur rencontre est fondée sur un malentendu. Hamaguchi capte ici la beauté fragile des relations humaines, où la vulnérabilité et l’ouverture à l’autre peuvent mener à des révélations inattendues. Le film se termine sur une note douce-amère, où les personnages, bien que séparés, semblent avoir trouvé un moment de réconfort mutuel dans cet échange fortuit.


La mise en scène de Hamaguchi, sobre et maîtrisée, laisse toute la place à ses personnages et à leurs interactions. Contrairement à beaucoup de films contemporains, Contes du hasard et autres fantaisies ne cherche pas à impressionner par des effets de style ou des rebondissements spectaculaires. Au contraire, le film se concentre sur l'intensité des dialogues, des gestes, et des regards échangés entre les personnages.


Chaque segment est filmé avec une économie de moyens qui renforce la véracité des situations. La caméra de Hamaguchi est discrète, mais toujours à la bonne distance pour capturer l’émotion des personnages sans jamais en faire trop. Les longs dialogues sont filmés avec une attention particulière aux silences, aux non-dits, et aux hésitations qui caractérisent les conversations humaines réelles. Ce réalisme dans l’approche renforce l'immersion du spectateur dans les récits et lui permet de se connecter profondément aux personnages.


Le rythme du film est volontairement lent et contemplatif, invitant le spectateur à prendre le temps de réfléchir aux thèmes et aux émotions qui traversent les histoires. Hamaguchi excelle dans l’art de capturer des moments d’apparence banale, mais qui révèlent une grande profondeur émotionnelle. Que ce soit une simple conversation dans une voiture ou une rencontre dans une salle d'attente, chaque scène est chargée d’une tension émotionnelle subtile, où les personnages se dévoilent peu à peu.


Au cœur de Contes du hasard et autres fantaisies se trouve une réflexion sur la nature complexe des relations humaines. Hamaguchi explore les moments où le hasard et l’inattendu viennent bouleverser nos vies, nous poussant à reconsidérer nos désirs, nos regrets, et les choix que nous avons faits. Chaque segment du film montre comment une rencontre fortuite peut ouvrir la porte à des émotions profondes et inattendues, transformant la perception que l’on a de soi-même et des autres.


Le film aborde également le thème du regret, en montrant comment les personnages sont souvent hantés par des décisions passées ou des relations non résolues. Que ce soit Meiko, toujours affectée par sa relation passée avec Kazuaki, ou Moka, qui regrette de ne pas avoir pu dire adieu à une amie d'enfance, chacun des personnages est confronté à des souvenirs douloureux. Cependant, Hamaguchi ne tombe jamais dans le pessimisme ou le cynisme. Au contraire, il montre comment ces rencontres inattendues peuvent offrir une forme de rédemption ou de réconciliation avec le passé.


Contes du hasard et autres fantaisies est une œuvre d’une rare sensibilité, où Ryusuke Hamaguchi explore avec une finesse remarquable les complexités des relations humaines et les jeux du destin. À travers ses trois segments, le film capte la beauté et la fragilité des moments de rencontre, où le hasard et les choix imprévus peuvent transformer nos vies de manière inattendue.


Porté par des performances d’acteurs subtiles et une mise en scène délicate, le film nous invite à réfléchir sur la manière dont nos interactions quotidiennes, aussi banales soient-elles, peuvent parfois révéler des vérités profondes sur nous-mêmes et sur les autres. Contes du hasard et autres fantaisies est une œuvre méditative et poétique qui résonne bien au-delà de sa durée, un film où chaque scène, chaque mot, et chaque silence est chargé de sens.

CinephageAiguise
9

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il y a 15 heures

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