Vous qui allez voir ce film, abandonnez toute espérance.

Alors que le monde est au bord d'une énième guerre mondiale capable de l'anéantir, ce film apporte un éclairage sur la façon dont les hommes s'y sont pris : avec un détachement affolant de la réalité.


Etre attentif aux écrits de Chomsky n'implique pas de les boire comme du petit lait. Il y a largement matière à critique, au moins sur deux points concernant sa vision politique :


-Sa critique de l'impérialisme américain est exacte, mais centrée obsessionnellement sur celui-là, Chomsky justifie à peu près les abus des autres nations sur leurs propres populations. Il parle des violations par les E-U de règles internationales conventionnelles, comme si ces règles étaient justes, comme si le nationalisme valait beaucoup mieux que l'impérialisme, alors qu'il en est l'étape préalable.


-C'est que la vision politique idéale de Chomsky repose sur les institutions, un état capable de bien fonctionner, alors que cela n'a jamais été, alors que l'histoire montre que la concentration du pouvoir est toujours néfaste au peuple, qui abandonne tout pouvoir à un groupe dirigeant.


L'histoire montre que les hommes ne veulent ou ne savent pas vivre autrement qu'en déléguant leur pouvoir à des esclavagistes. Malgré tout, ça intéresserait tout le monde de voir cette question là creusée, au point où on en est, les gens seraient capables d'y faire face, contrairement à Chomsky qui la contourne spectaculairement dans sa "Fabrication du consentement". Je n'adore pas Francesco Masci, mais il a raison de dire que "toute aliénation est une auto-aliénation". Parlera-t-on jamais de la complicité populaire autrement que comme l'oppression de petits enfants irresponsables ? Parlera-t-on jamais d'auto-défense autrement que comme l'action d'un troupeau


Sur cette base, les analyses de Chomsky sont souvent intéressantes, ses idées politiques beaucoup moins. Si gros qu'en soit le sujet, elles restent anecdotiques et tragiques parce qu'à leur terme, son option est de répéter les étapes préalables au désastre : des révoltes institutionnalisées qui ne servent qu'à des changements de personnel, mais pas des principes sociaux.


Ce film est vide de toute critique, mais aussi sans passion, ce qui va de pair avec l'hagiographie. Faut-il s'en étonner, il fabrique lui aussi un consentement aveugle.


C'est donc la dernière fois que je me farcis un film de Gondry.


J'aimais bien ses clips pour Oui-oui et Bjork, qui m'évoquaient les films animés des pays de l'Est pour enfants, que j'avais pu voir dans les années 80. On se fait toujours couillonner sur la nostalgie et les sentiments, décidément.


J'avais été déçue ensuite par la pauvreté scénaristique de Be Kind, Rewind , le début du film était sympa, mais ensuite ça devenait niaiseux de bons sentiments qui n'apportent rien en réalité, mais flattent juste l'égo du réalisateur et des spectateurs d'accord pour bêtifier.


L'Ecume des jours et La Science des rêves étaient encore pires, avec des bricolages d'étudiant des Beaux arts adroit et des histoires creuses de bienheureux détachés de toute réalité, la condition étant naturellement d'être assez riche pour se permettre ce genre de fantaisie.


Conversation animée avec Chomsky est du même tonneau, bien qu'il ne s'agisse pas d'une fiction.


Dès le début c'est l'horreur :


-Petit speech d'introduction en animation style "arte povera", avec une écriture enfantine au stylo plume, et dessin d'un bonhomme dessinant, plein de bavures de polycopié. Speech lu par Gondry en anglais avec un gros accent français à la De Gaulle, c'est-à-dire en évitant laborieusement de prononcer correctement, même par accident. Méga lourd...


-Le contenu de ladite intro n'est pas sans rappeler le scientisme surréaliste (qui se voulait burlesque) du personnage de La science des rêves, manifestement autobiographique. Les considérations scientifico-foutraques de Gondry sur l'essence propagandiste du cinéma sont assez chiantes, surtout la deuxième fois.


-On en vient à l'objet du film, une interview (pardon, une conversation) avec "Le plus grand penseur vivant" (les guillemets sont de Gondry, qui a chopé ce titre adulateur grotesque sur un quelconque top 100 d'Internet). Il en est d'autant plus ému que Chomsky est, comme il le dit, à la fin de sa vie et qu'il lui faut se dépêcher de l'interviewer (d'avoir une conversation avec lui) AVANT qu'il se fasse empailler. Le même noble sentiment qu'il nous dit avoir déjà eu lorsqu'il a fait un film sur sa tata, personnage moins controversé précise-il, avant de se raviser, et de laisser entendre avec ingénuité qu'elle l'était au fond tout autant. Ben oui, pourquoi aurait-il des conversations avec des gens pas controversés ? Le vide abyssal du poseur.


-S'ensuit une petite musique au piano genre "Pause-café", avec un diaporama de photos sépia artsy (pas sous Photoshop donc) et en surimpression, le dessin pseudo-naïf d'un bonhomme avec une caméra, marchant pour rejoindre devinez qui.


-Gondry laisse humblement apparaître le plus grand penseur de la terre entière de l'Univers, non sans ajouter qu'il est " euh litteulle bite neurvousse". Comme un fan de Madonna. L'horreur, tous aux abris...


-S'ensuit une pénible biographie de Chomsky, entrelardée des vues du grand homme sur le monde des grandes idées, le tout illustrée avec une horripilante fausse naïveté esthétique contestataire, libertaire et anti-impérialiste. Toujours une pose spectaculaire, sans aucune intériorité, ressemblant méchamment à son pendant hollywoodien.


Si c'est ça la résistance à la normalisation, on est mal barrés.


Il se trouve que même à Hollywood il y a des gens qui font preuve d'un peu plus de sincérité et de critique sociale.


Je re-regardais justement Working Girl (1988) quelques heures auparavant et je trouvais ça plutôt gonflé de montrer l'air de rien, dans un film grand public, une petite secrétaire découvrant la maison richarde de sa supérieure, en son absence, utilisant ses affaires comme on mets les pieds dans les chaussures d'un autre et découvrant par hasard, en fouinant en territoire interdit, la vérité non seulement de leur rapport, mais de tout rapport aux supérieurs, découverte qui anéantit son obéissance et la fait entrer dans une lutte discrète.


C'est autre chose que de faire rebondir des fleurs sur un Chomsky pour mieux les recevoir.


Sans parler de la pauvreté du discours de Gondry, je trouve son esthétique totalement dépourvue de l'innocence et de la joie enfantine auxquelles il prétend. Lourd et insincère, il serait plus intéressant s'il jetait ce masque.


Comme il le dit si bien, nous ne rajeunissons pas et il faut se dépêcher.

vitch
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le 15 janv. 2015

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vitch

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