Il aura donc fallu attendre presque dix ans pour retrouver un nouveau film de Bertrand Blier sur les écrans, neuf ans exactement depuis Le bruit des glaçons. Il faut dire que le réalisateur iconoclaste du haut de ses 80 ans n'inspire plus trop la confiance des financiers au point d'être contraint par les assurances de désigner un successeur potentiel en cas de décès lors du tournage. Alors que tant de comédies interchangeables françaises se montent sans aucuns problèmes, Bertrand Blier semble devoir se contenter maintenant d'un film par décennie.
Dans Convoi exceptionnel on suit les déambulations de Foster et Taupin un improbable duo entre un petit nanti trop speed et un gros désœuvré un peu trop lent. Les deux vont tenter de comprendre les finalités de l'étrange scénario qu'ils sont contraint de suivre....
C'est avec beaucoup de bonheur que l'on retrouve avec Convoi exceptionnel la petite musique si particulière de Bertrand Blier. Le film combine à merveille le plaisir de jouer avec l'outil cinématographique , la truculence et la poésie des dialogues, une certaine prédilection pour l'humour noir teinté d'absurde et des obsession qui ne cessent de se répondre de films en films.
Fatalement lorsqu'un film a pour postulat de départ de mettre des personnages conscients d'être confrontés aux aléas d'un scénario qui dicte leurs destins respectifs on évoque bien sûr de cinéma et de la place de l'auteur, mais on parle surtout de l'absurdité même de la vie et de l'histoire que chacun tente de se construire entre destin et liberté individuel. Bien plus que de cinéma, Convoi Exceptionnel parle de la vie, de nos choix, des circonstances en tentant de comprendre comment suivre la ligne directrice et interférer dans ce foutu et étrange scénario dont tout le monde connait la triste fin. Comment se construit t-on une histoire ? Doit on suivre la ligne directrice monotone de notre vie ou en réécrire chaque jour le scénario ? Sommes nous tous les piètres acteurs d'un immense théâtre de circonstances dirigé par un grand scénariste peu inspiré ? Pouvons nous vraiment transformer la morne comédie dramatique de nos vies en de flamboyantes envolées pour faire du banal insipide un chef d'oeuvre ? …. Ce sont quelques unes des questions qui se glissent insidieusement dans l'esprit du spectateur en regardant Taupin et Foster se débattre pour essayer d'exister dans le film....
On le savait déjà mais Bertrand Blier est un formidable dialoguiste de cinéma dont la petite musique oscille entre la truculence paillarde, la poésie mélancolique et l'absurde. Si la partition est brillante encore faut il trouver des musiciens de talent pour en faire vibrer toutes les nuances. Si Gerard Depardieu est un grand habitué des films de Blier (Préparez Vos Mouchoirs – Buffet Froid – Tenue de Soirée), Christian Clavier signe ici sa toute première collaboration avec le réalisateur. Les deux acteurs nous offre un formidable duo de cinéma et de comédie en faisant chanter les mots de Blier avec une vraie délectation. Ce qui pourra sembler un peu vulgaire platement écrit comme “ On se précipite tous dans le cul de Josette” est pourtant délicieusement drôle et truculent dans la bouche des comédiens. Blier sait aussi se faire plus grave comme lorsque Farida Rahouadj se lance dans un long monologue face caméra comme on en trouve très souvent dans le cinéma de Bertrand Blier.
Celles et ceux qui connaissent Bertrand Blier par cœur ne seront pas dépaysés puisque l'on retrouve dans le film une grande partie des obsessions de l'homme et du cinéastes. Un duo masculin au centre du récit, un caddie de supermarché pour pousser un personnage, des morts qui parlent, des rencontres multiples, la nuit , la bouffe et surtout des femmes tantôt amoureuse, joyeuses, plantureuses ou mélancoliques. Certains diront sans doute que Bertrand Blier radote son cinéma, je préfère l'option qu'il creuse ses obsessions au sein d'un univers particulier et hautement personnel.
Tout n'est pas parfait et comme souvent Bertrand Blier peine une fois encore à terminer son film au point même d'avouer que dans le cas de Convoi Exceptionnel il a écrit la fin en cours de tournage en constatant que son film serait trop court. Rien de bien méchant toutefois, car si Convoi Exceptionnel n'est pas le plus exceptionnel des Blier il est pourtant bien au dessus de tout ce qu'on voit en matière de comédie française (C'était juste pour mettre exceptionnel et qu'on voit dans la même phrase).