Un des problèmes récurrents, comprenez par là qu’il faut le prendre en compte quotidiennement, pour qui veut travailler avec des artistes est d’arriver à faire fi, du mieux possible, de l’égo de ces génies autoproclamés. Si différents des autres, mais tous aussi prévisibles en fin de compte.
"L'enfer est le royaume du 'pseudo', et de l'imitation, la simili-vertu, la propice confusion du juste et de l'injuste, celui-ci mimant parfaitement celui-là ; l'infernal malentendu, la vertu bafouée et caricaturée..." Vladimir Jankélévitch
S’il y a bien un point sur lequel les chrétiens ont toujours eu du nez, et Dieu sait si j’ai eu l’occasion de le vérifier, c’est sur le péché originel. L’orgueil, tout est question d’orgueil. On y revient toujours.
Les vrais génies ont-ils besoin qu’autrui vante leurs mérites ?
C'est une bonne situation ça, recopieur ?
Le cas de la copie est riche : un copiste, toute personne talentueuse qu’il est, ne restera jamais qu’un copiste. Dans l’ombre de celui qui est à l’origine de l’œuvre première.
Alors que. Alors que, honnête artisan, il travaille sans relâche à être au plus proche du style, de la patte, de l’essence de l’art du peintre. De ce qui fait sa spécificité, ce pourquoi il est unique.
Et copiste aguerri, Xiaoyong Zhao l’est assurément. Il peint du Van Gogh depuis de nombreuses années et connait sur le bout du pinceau toutes les nuances de couleurs à reproduire, tous les mouvements à exécuter, son œil est aiguisé. Il admire le peintre, mieux encore, il l’idolâtre.
Si je précise « mieux encore », ce n’est pas anodin. Le documentaire de Haibo Yu et Tianqi Kiki Yu -respectivement le père et la fille - donne à découvrir un personnage fascinant pour son quotidien, son regard sur sa vie et son amour pour Vincent Van Gogh.
Il vit Van Gogh, pense Van Gogh, mange Van Gogh, rêve Van Gogh et, j’en suis certain même si le documentaire ne le montre pas, copule Van Gogh.
Alors, évidemment, lorsqu’un de ses commanditaires l’invite à Amsterdam pour approcher les œuvres du peintre, non pas en photo mais en vrai de vrai, en toile et en peinture… sa réaction est naturelle (celle de tout homme passionné ?) et en accord avec son engagement.
Xiaoyong fait le film. Il est touchant quant à son engagement mais semble découvrir le monde extérieur, hors de sa fascination pour le peintre. Son attitude lorsqu’il apprend le prix de revente de « ses » tableaux en dit long sur le monde qu’il connaît.
Naïvement, et comme certains spectateurs je pense, je m’attendais à ce que son métier lui rapporte suffisamment pour vivre et profiter de son argent. Quel con je suis. Après tout, un travailleur acharné comme lui, ça mérite bien de, sinon rouler sur l’or, au moins sortir de la classe moyenne chinoise, non ? Lui, de toute manière, ne fait pas ça pour l’argent. Ce qui l’anime, c’est son amour pour la peinture de Van Gogh. Il est intimement lié au célèbre peintre hollandais. Par conséquent, lorsqu’on évoque son avenir, il l’envisage avant tout par le prisme de l’art, et de la copie.
Est-ce qu’on peut ravoir à l’eau de javel, des sentiments ?
À quel point est-il libérateur d’enfin créer ?
Créer est libérateur, c’est un lieu commun et je n’ai certainement pas la prétention d’avoir inventé l’eau chaude en l’écrivant. Mais créer, par soi-même, après 20 ans de copie d’un autre, qui plus est un génie, ce doit être autre chose. Un sentiment de l’ordre du chamboulement. Le paradigme change. La vie, le quotidien, tout change. Voir l’art sous l’angle de la création personnelle semble permettre de se le réapproprier.
Le rapport du copiste à l’art pictural est ici multiple, il a conscience de n’être qu’un imitateur mais laisse entrevoir qu’il connait Van Gogh mieux que personne.
La suite coule de source : le voir découvrir les originaux est émouvant mais surtout synonyme de libération paradoxale, pour lui comme pour moi. Sa passion est communicative, elle communie activement. Pour Xiaoyong, aller au musée Van Gogh est ni plus ni moins qu’un pèlerinage qui lui permet de voir les peintures de ses propres yeux, sans l’intermédiaire de l’écran. La couleur, le trait, le geste, l’intention d’origine.
Son amour pour le peintre n’en ressort que plus fort.
Le travail des documentaristes m’apparaît nécessairement dirigé par le sujet, hors norme, qu'ils filment. Est-ce possible de s’affirmer en face d’un tel personnage ? Évidemment. Ce n’est pourtant pas le parti pris par les réalisateurs. Il est une forme de pudeur poétique dans la manière d’aborder cet homme et sa passion. Pudeur qui n’empêche pas des ruptures de ton toujours bienvenues, permises par le montage, comme autant de retours à la réalité.
Régulièrement, Xiaoyong se confronte au monde. Ses illusions, ses préjugés, passent à la moulinette de la réalité, parfois toute autre.
Le regard de cet artiste, « simple contrefacteur », est amené à évoluer autant que son rapport au monde. Et cela, la structure du film le porte plus que tout.
À mesure que les spectateurs le découvre, il est amené à se découvrir, à découvrir le vaste monde. Un voyage intérieur qui passe par une virée à Amsterdam.
Les monuments sont des copies, les sentiments également ? Ce que Xiaoyong ressent est sincère et, au cœur d’un film qui le met en avant, il évolue.
Derrière celui de cette seule figure, se développe le portrait de tout un atelier, de toute une ville, de toute une société. Celle, traditionnelle, d’une Chine qui regorge de talents comme Xiaoyong.