Corporate est un appel feutré à la révolte en entreprise. La prise de conscience d’une DRH en quête de vengeance qui va devenir symbole, héroïne des temps modernes.


Le monde de l’entreprise et la déshumanisation de l’employé, même celui qui se croit supérieur aux autres, tel est le thème de Corporate (comprendre celui qui aime et défend l’entreprise, mais qui se doit aussi d’être proactif, c’est-à-dire de toujours aller de l’avant). Le film explore donc les arcanes du pouvoir d’entreprise à travers Esen et ses dirigeants à la morale douteuse. Parmi eux, une figure intéresse plus particulièrement : celle d’Emilie, la DRH. Cette femme en apparence froide et calculatrice va devenir héroïne le temps d’un film. Céline Sallette offre à ce personnage une force inattendue, celle d’un regard qui accroche, d’un corps qui décroche pour mieux rebondir. C’est par le vêtement, mais aussi la posture qu’Emilie se transforme. Ce personnage est assez nouveau dans la filmographie de l’actrice. Habituée à faire le lien entre les protagonistes (Cessez le feu, Geronimo…), elle est ici solitaire, désemparée face au groupe. D’abord louée, cette « killeuse » devra faire des choix radicaux pour changer sa vie et peut-être celle des autres. Construit comme une sorte de thriller, Corporate surprend moins par son scénario que par les dilemmes qu’il offre à certains de ses personnages, mais aussi et surtout la confrontation entre Emilie et l’inspectrice du travail. D’abord rivales, les deux femmes vont vites devenir des alliées de choix. Il y a quelque chose de jouissif à les voir gérer, de manière plutôt incongrue, la sécurité sur un chantier d’hommes. Les deux actrices sont superbes de nuances dans ce grand jeu macabre qu’elles tentent de camoufler, puis de dénoncer. Leurs enjeux sont tour à tour dissonants puis complémentaires. A ce jeu-là, Violaine Fumeau vient parfaitement compléter le jeu de Céline Sallette. Autour d’elles gravitent d’autres figures convaincantes : Lambert Wilson, Stéphane de Groodt, Alice de Lencquesaing et des plus ou moins anonymes dont les visages ne nous sont pourtant pas inconnus.


Une petite entreprise qui connaît la crise


Dans ce vaste labyrinthe qu’est l’entreprise, planquée au cœur de Paris, le monde s’écrit comme dans une jungle. Le plus faible s’écrase, tombe, se courbe. Le plus fort avance sans se retourner. Réfléchir à ses actes, c’est déjà ne plus être compétitif. Emilie le comprend à ses dépens, elle retrouve alors le sel de sa vie, redevient plus humaine en quelque sorte. D’abord convaincue par ses actes, elle finit par les rejeter, sans refuser de les assumer. Ce serait trop facile de dire qu’elle a simplement obéit à des ordres et Nicolas Silhol s’y refuse. Tout est alors construit sur la quête de la vérité, celle que l’on masque, que l’on fabrique. Silhol se projette du côté de ceux que le système détruit, sans pour autant leur coller aux basques, car il s’attaque au monstre froid : la « killeuse » redevenue pour un temps la petite fille perdue qui ose croire à un monde meilleure, quitte à tout perdre. Entre un Paris rempli d’hommes filmés comme des fourmis ouvrières et les couloirs cliniques de l’entreprise, Silhol promène sa caméra, mais sans lâcher ses protagonistes, en les confrontant sans cesse les uns aux autres et en décidant de ne pas trop les caricaturer pour espérer convaincre. L’entreprise devient alors le lieu du drame que la musique vient accompagner, le monde extérieur apparaît comme une triste consolation où la musique se libère et peut être libère aussi. Une chose est sûre, Emily s’émancipe et, en chutant de son piédestal, s’élève beaucoup plus haut qu’elle ne le croit (sa vie personnelle n’est qu’esquissée, on ne sait pas si elle est soutenue jusqu’au bout, dans ce cocon bien-aimant et limite concurrentiel qu’elle a créé avec des gens – son fils et son mari – qu’elle ne fait que croiser). Mais à quel prix ? (celui d’une vie humaine car elle se réveille un peu tard, celui de l’humanité toute entière peut-être). En partant du bruit d’un corps qui chute, du drame, de l’élément déclencheur – l’employé qui met fin à ses jours dans son entreprise en se jetant par la fenêtre – Nicolas Silhol dresse un bilan clinique de l’entreprise qu’il décortique et sur laquelle il pose un regard loin d’être bienveillant. Il redit aussi l’importance de protéger ce monde du travail si féroce en tout cas tel qu’il le décrit. Dommage que le film surprenne peu et qu’il paraisse parfois un peu désincarné pour vraiment livrer son message jusqu’au bout.

eloch

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