Revoir ce film après très longtemps (probablement l'avais-je vu au Cinéma de Minuit dans les 80's) permet d'évaluer le talent d'Hitchcock qui trouve bien ses marques à Hollywood, puisque c'est son second film américain après Rebecca ; il a été "emprunté" à Selznick par la United Artists et le producteur Walter Wanger qui n'ont pas regardé à la dépense, tout ce qu'a demandé Hitchcock, il l'a obtenu. Un budget d'1 million de dollars de l'époque a permis de construire des décors assez grands comme un morceau d'Amsterdam (la rue et les façades où a lieu le meurtre sous la pluie), un moulin dans un morceau de campagne hollandaise, des décors londoniens, quelques hôtels et un avion Clipper qui sera ensuite jeté dans la mer (un grand bassin annonçant celui de Lifeboat). L'équipe du directeur artistique William Cameron Menzies a fait un sacré boulot aussi sur des maquettes.
Hitchcock voulait Gary Cooper qui déclina l'offre car les thrillers étaient considérés comme des films de série B, Joël McCrea le remplaça et fut parfait dans son rôle, même s'il n'était pas une aussi grande vedette que Cooper ; Laraine Day aussi n'était pas une vedette d'envergure. Mais cette production fut en tout point soignée, elle bénéficia d'une direction artistique remarquable, de la photo superbe de Rudolph Mate (qui fut un grand chef-opérateur avant de passer à la réalisation), d'effets spéciaux bien réglés pour l'avion dans la flotte, et d'un casting impeccable où l'on prend plaisir à retrouver George Sanders et son ironie légendaire, ainsi que Edmund Gwenn, petit bonhomme facétieux qu'on retrouvera dans Mais qui a tué Harry ?.
J'ai jamais compris ce que signifiait le 17 du titre français, alors que le titre original est bien plus explicite, mais peu importe, ce qui compte c'est que Hitchcock emballe une sorte de folle course-poursuite où s'interpénètrent l'espionnage, le suspense et l'humour noir, cet humour hitchcockien qui a fait la marque du Maître et qu'il est le seul à exprimer. Ce qui est remarquable, c'est qu'il excelle à créer de brusques moments d'intensité dramatique qu'il prend plaisir à démonter tout de suite après par un soupçon d'humour ou de purs instants de comédie. Dans les entretiens qu'il a donné à Truffaut, Hitchcock disait : Ce film est une fantaisie, et je n'ai pas permis à la vraisemblance de montrer sa vilaine tête. Comme le sujet qu'il traite est sérieux, il ne cesse d'être malicieux en fixant sa caméra sur des personnages chargés d'égayer l'intrigue, tels ceux de Sanders, de Robert Benchley et ses répliques amusantes, et même de McCrea qui joue une sorte de grand dadais de journaliste découvrant un complot nazi et que la guerre est sur le point d'éclater. Hitchcock traite un thème qu'il utilisera souvent : celui de l'innocent mêlé à des aventures qui le dépassent, et celui du traitre à débusquer.
L'autre aspect important du film réside dans l'intention de secouer l'administration Roosevelt, trop lente à déclarer la guerre à l'Allemagne et trop repue de l'isolationnisme américain ; ce qui se passe en Europe est grave, l'Angleterre est dans une situation désespérée et l'engagement des Etats-Unis est indispensable. Il y a donc une intention de propagande patriotique, et en ce sens, le discours final de McCrea à la radio londonienne est éloquent, c'est un véritable appel lancé à l'Amérique qui d'ailleurs entrera en guerre 16 mois plus tard, après Pearl Harbor.
Voila donc un film plein de péripéties et de suspense, un peu long à démarrer mais qui ensuite ne tient plus en place, avec des scènes très réussies comme le meurtre sous la pluie, la poursuite de l'assassin dans une forêt de parapluies et entre les tramways, ou encore la scène du moulin bien réalisée sur le plan technique, celle au sommet de la tour de Westminster, et celle du crash de l'avion. Sélectionné pour l'Oscar du meilleur film et du meilleur scénario, Correspondant 17 repartit bredouille, mais Hitchcock venait de démontrer qu'un thriller, genre considéré comme mineur, pouvait être aussi un divertissement de grande classe.