Vicky Krieps, impériale et vulnérable

Marie Kreutzer propose avec Corsage un film aussi intrigant que déconcertant, centré sur les dernières années de l’impératrice Sissi. Rarement le cinéma s’attarde sur le déclin des souveraines, ces années où, après avoir rempli leurs devoirs, on leur demande simplement de rester à leur place. Pour Sissi, cela se résume à quelques apparitions protocolaires et à la mission autodestructrice de rester mince et belle.

Le parallèle entre la vie de Sissi et le corset, étouffant et rigide, n’est pas très subtil mais il fonctionne efficacement. Vicky Krieps insuffle une mélancolie poignante à ce portrait de femme désenchantée. Volontairement absente d’une cour dont elle méprise les codes, fantasque envers des enfants qui finissent par la craindre, Sissi alimente son propre isolement. Plus elle est reléguée à un rôle purement décoratif, plus sa solitude et ses désirs entrent en collision avec son incapacité à se libérer des conventions qui l’enferment. Ses tentatives d’émancipation, comme lorsqu’elle part faire du cheval pendant des semaines ou badine avec certains, se heurtent au scandale et à la réprobation, voire à des suspicions de folie.

Cette relecture moderne de la vie de Sissi se démarque par un anachronisme assumé – un interrupteur, un téléphone moderne, des chaises en plastique – qui semble être une gaffe au début. Mais au fil du film, ces choix s’affirment et participent d’une volonté claire : offrir une distanciation. Ils accentuent cette volonté de montrer l’envers du décor, mais aussi l’idée que Sissi elle-même est devenue une relique, enfermée dans un rôle figé. C’est dans ce cadre que la réalisatrice amorce une libération progressive du personnage. En se débarrassant de ses 5 kilos de cheveux (un fait authentique !) puis de son régime strict et enfin de son corset, Sissi commence à briser les chaînes de son existence fantomatique. Cette quête de contrôle s’étend même jusqu’à sa propre mort, remplaçant ici vérité historique par une rébellion symbolique.

Le choix de cette mise en scène, mêlant distanciation et réécriture, reste déconcertant. Elle ouvre la porte à toutes les interprétations mais laisse parfois le spectateur perplexe : que cherche vraiment à raconter le film ? Le saut final – est-ce une libération, une émancipation ou un suicide ? – reste volontairement ambigu. Le film possède une dimension romantique et crépusculaire, qu'il mélange avec une distanciation par l’absurde. Vicky Krieps porte le film avec une intensité remarquable, loin des héroïques classiques. Ce n’est pas un "beau rôle" au sens traditionnel, mais il explore une zone grise fascinante, entre désespoir et rébellion.

Kreutzer choisit de briser notre représentation figée de Sissi pour en révéler les absurdités, allant jusqu’à littéralement jeter son héroïne au large. C'est un film aussi troublant que frustrant, dont la volonté semble avant tout de forcer à nous questionner sur les rôles et représentations, sans direction rassurante.

AlicePerron1
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le 13 déc. 2024

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Alice Perron

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