Le monde comme chaos organisé. Comme chaos mathématisé, chronométré, bien coiffé et bien habillé. Entièrement symbolisé par une Limousine hi-tech dans laquelle circulent les spectres du capitalisme. Absurdité d’un monde qui se croit à l’abri de lui-même. A l’abri de son chaos originel. Dans le confort d’une matrice protectrice où tout serait sous contrôle : les possessions, les désirs, les sentiments, le corps lui-même. Mais nous sommes chez David Cronenberg et rien n’arrête les névroses et le triomphe de la Chair.
Scène après scène, le magnat incarné par le propret Robert Pattinson se décompose. Le monde reprend tous ses droits au ridicule et à la sauvagerie. Théorisée, commentée, synthétisée, entre slogans et digressions, l’existence perd son sens. Le discours, véritable moteur de cette odyssée, est réduit à l’état de coquille vide. Dialogues de sourds où les phrases se percutent, particules élémentaires parfaitement imperméables les unes aux autres. C’est une quête, c’est un abandon, c’est une perdition.
La mise en scène si géométrique de Cronenberg se laisse contaminer par le désordre des mots de Don DeLillo. Les champs / contre-champs se décalent peu à peu, jamais deux fois au même angle. Les plans fixes se laissent débordés par les détails, puis carrément par le torrent du consumérisme réduit à des piles d’écrans obsolètes entassés dans un appartement dépotoir. La musique d’Howard Shore habille l’espace d’une étrange menace. Cosmopolis c’est Videodrome 2012, la technologie a triomphé et réduit en miette une civilisation entière. On espérait être sauvé par le capitalisme et on se retrouve avec une bête agonisante et suicidaire, dévorée par son propre échec.
Grotesque et glaçant, Cosmopolis déroule son Ulysse miniature, son Joyce contrit et maladif. Echos technologiques, résonnances et informations en flux continus et abscons, tout n’est que cacophonie. Une cacophonie feutrée, insonorisée entre quelques panneaux de liège et des vitres blindées. Mais au final, la prostate est asymétrique. Les symboles de virilité dévoilent leurs imperfections et l’homme est réduit à sa finitude. L’illusion du contrôle a vécu. Il ne reste que la certitude de la mort.