Quel étrange petit film, mal connu, sorti en 2000 (mais où ?), que des éditions ultérieures en DVD vont à peine permettre de le sauver de l’oubli.
Soyons déjà honnête, Couac, le vilain petit canard n’est pas un chef d’oeuvre, ni une pépite à redécouvrir parce qu’elle serait extirpée des Limbes. Le film franco-irlandais de Millimages (Piccolo, Saxo & Cie, Renaissance, Lascars, le film, Mojang, etc.) et Terraglyph Production (Carnivale, Gloups ! Je suis un poisson) s’apprécie néanmoins pour sa proposition visuelle, assez audacieuse.
Le film est une évidente relecture du conte du vilain petit canard, mais plongé dans un univers visuel assez marqué dans ses arrière-plans, aux lignes étendues, aux couleurs complémentaires ou opposées, parfois baroques, parfois psychédéliques, aux compositions travaillées, aux architectures sombres et tordues comme dans un Burton, aux natures arrondies comme dans une adaptation d’Alice au Pays des Merveilles. L’histoire prend place dans un univers de conte de fées, et le film en propose une retranscription fantasmagorique assez réussie.
Dans ce monde anthropomorphe, ce sont les vilains cochons qui ont pris le pouvoir. La maire Truella (ce nom!) dirige le royaume de sa tour sombre, entouré de ses deux frères dont un gangster chargé des basses besognes. Ces porcs s’appuient sur les loups, grands et bêtes dans leurs manteaux effilés. Ils sont à l’affût de la naissance d’un élu dont la prophétie annonce qu’elle mettra à terre le régime des cochons.
Cet élu, c’est Couac, qui échappe de justesse à une rafle, contrairement au reste de sa famille emprisonné. Le canard aux grands yeux tristes et au bec démesuré (lointain cousin de Canardo) doit endosser ce rôle qui lui a été attribué, lui à la personnalité un peu molle, embarqué dès sa sortie de coquille dans une aventure qui le dépasse un peu. Une coccinelle bougonne et qui en a vu des vertes et des pas mures l’accompagne, à la recherche du Bonimenteur, le créateur de ce monde de conte de fées. Sur leur chemin, ils vont rencontrer des alliés, comme Simon, pantin fantasque, une araignée gigantesque échappée d’un vieux cartoon, ou Humpty Dumpty, brisé en morceaux par l’armée des cochons, mais aussi des ennemis, tels qu’une grand-mère affamée ou le joueur de flûtes.
La découverte de ce petit monde permet de croiser de nouvelles figures et de nouveaux décors, pour titiller une curiosité tout de même un peu malmenée par un certain manque d’enjeux. Cette grande aventure reste un peu trop terre-à-terre alors que l’histoire et l’univers devaient amener un peu plus de grandiloquence. Le film dure une petite heure, et c’est peu. Les personnages sont caractérisés, mais jamais développés plus loin que leur personnalité de base. Ce pauvre Couac n’a pas le temps d’être présenté à son avantage. L’idée est bien sur de montrer qu’un héros sommeille en lui, mais il faudra au préalable se contenter d’un héros un peu mollasson, qui suit sans se poser de questions une coccinelle qui veut qu’il soit l’élu.
Cette histoire de prophétie et d’élu n’est d’ailleurs jamais vraiment remise en question, passivement acceptée par tous et dont le spectateur. Cela aurait pu être un ressort pour notre palmipède de vouloir s’en défaire pour mieux s’accepter et s’imposer aux autres. Mais non, Couac est l’élu, un point c’est tout.
Le film a d’ailleurs bien du mal à imposer ses scènes. On perçoit dans certaines une volonté évidente de recherche, de marquer le regard. Ce sont d’ailleurs celles où le métrage pallie une animation assez modeste, très télévisuelle, en incorporant ses personnages dans de beaux arrière-plans, jouant parfois sur les échelles pour mieux les incorporer dans ce monde.
Mais quand ces créatures animées sont en gros plan, un certain manque de budgets se fait ressentir, c’est trop classique, trop plat. D’autant plus que certains d’entre-eux sont esthétiquement un peu trop quelconques, comme Simon, même si d’autres témoignent d’une meilleure inspiration, à l’image de cette araignée noire très cartoon, ou de ces loups élancés.
Le film a été écrit et réalisé par Dean Taylor, avec Emmanuel Klotz. Ce monsieur a tout de même été le directeur artistique de L’Étrange Noël de Mr Jack, même si par la suite sa carrière s’est un peu éparpillée sur des projets animés moins glorieux. Cette recréation de l’histoire du Petit canard dans un monde de conte de fées fantasmagorique se distingue principalement par la direction artistique de ses arrière-plans, vraiment incroyablement, mais dans un format et un budget trop réduit qui n’en exprime pas toutes les folies. L’histoire reste suffisamment plaisante et régulièrement renouvelée de nouvelles rencontres pour ne pas regretter de passer un petit moment devant, même s’il faut accepter un métrage qui n’a pas les moyens de ses ambitions.