Difficile d'aborder ce film tant il fait référence à un système de pensée qui, au-delà de provenir d'un pays étranger, est reconnu pour son caractère très ésotérique voire abscons. Kiju Yoshida se sert en effet comme base à Coup d'État des théories du militant ultranationaliste Ikki Kita. Celui-ci était un adepte de la "restauration de Showa", à savoir l'idée selon laquelle l'empereur du Japon devait recouvrer sa toute-puissance en abolissant le système démocratique mis en place dans les années 1920. Kita fut auteur d'un ouvrage très influent parmi les militaires et les hommes politiques favorables à cette restauration impériale, aussi est-il devenu une sorte de chef spirituel du mouvement visant à accomplir le fameux coup d'État dont il est question dans le film.
Pour faire simple, Yoshida a tenté de mélanger aux faits historiques (le déroulement du coup d'État) les idées de Kita en les matérialisant de manière concrète, presque théâtrale, dans la façon dont Kita perçoit les événements du coup d'État. En gros, à mesure que les putschistes agissent, on retrouve Kita pour des "apartés" durant lesquels il expose sa vision du Japon impérial. Inutile de dire que c'est difficile pour un Occidental de bien comprendre toutes les subtilités de ces passages étranges, où le ciel semble jouer un rôle important de connecteur entre les hommes et leur organisation sociale (sans doute une référence au confucianisme ?).
Cette réflexion politique organiciste se double d'une réflexion sur la famille qui je dois l'avouer est encore moins évidente à saisir tant elle joue sur les non-dits. Je dirais même qu'il faut s'accrocher pour ne pas être complètement largué dès la première scène où Yoshida fait intervenir le fils de Kita... C'est très obscur et les dialogues cryptiques n'aident pas plus à comprendre ce qui se passe sous nos yeux.
Plus globalement la narration du film est vraiment heurtée et pas du tout temporalisée ce qui rend d'autant plus difficile le suivi de l'intrigue. Finalement très peu du coup d'État tel qu'il se déroule sur le terrain est montré par la caméra. Yoshida préfère se focaliser sur Kita auquel on vient rapporter périodiquement l'avancée des opérations. Cette narration indirecte joue sur la déformation des événements, ce qui contribue à rajouter de la confusion à la trame de l'histoire. Bref, un joyeux bordel qui a fini par me lasser à la longue, d'autant que le rythme du film est très mal géré, en particulier sur la fin : la dernière demi-heure paraît réellement interminable (les plans-séquences se font plus longs aussi).
Le film aurait pu se sauver sur son esthétisme, argument de poids dans le cinéma de Yoshida. Le cinéaste adopte de nouveau son style si particulier au cadrage millimétré. Chaque scène est une composition savamment étudiée qui fait la part belle aux lignes de force et aux perspectives. Néanmoins la perfection formelle est tempérée par une esthétique en berne. On ne retrouve pas dans Coup d'État la splendeur des plans de Eros+Massacre, la finesse des compositions d'Histoire écrite sur l'eau. Le film apparaît dès lors comme alourdi plus que soutenu par la mise en scène du réalisateur japonais, et échoue à captiver autour de cette histoire très obscure.
Indéniablement, le symbolisme tient une place essentielle dans l'œuvre, notamment le ciel (et le plafond, mis en valeur par le cadrage au 1/3 si cher à Yoshida), mais aussi la thématique de la relation entre la théorie et la pratique, binôme en tension permanente, incarné d'une part par Kita, de l'autre par les putschistes qui matérialisent concrètement son action intellectuelle. Là doit résider la lecture la plus intéressante qui peut être faite de la vie de Kita et du film avec lui, à savoir dans quelle mesure l'énonciation de théories politiques et leur application dans le monde réel sont compatibles ou non.
Le traitement qu'a cherché à en faire Yoshida est cependant trop abrupt, trop aride pour parvenir à en faire un sujet prenant pour le spectateur, mais peut-être est-ce dû à la nature des idées de Kita, elles-mêmes complexes et survenant dans un contexte culturel et intellectuel très particulier pour le Japon. Peut-être aussi est-ce l'absence de Mariko Okada, muse du cinéaste et figure solaire de chacun de ses autres films qui se fait ici ressentir.