Norbert Carbonnaux, c'est un peu le Quentin Dupieux des années 50. Il emploi des acteurs populaire, très typés et issus du cabaret et tente d'exploiter leur talent et leurs spécificités dans du vrai cinéma comique. C'est très casse gueule car un autre tomberait facilement dans la facilité en filmant platement un numéro comique rodé par la scène depuis longtemps. Mais Carbonnaux est un vrai metteur en scène comique, avec un goût pour l'absurde et le surréalisme.
Ici c'est donc une histoire de course de chevaux et d'arnaque, un scénario inventé par Albert Simonin qui a lui même été victime de petits escrocs dans sa jeunesse. L'adaptation est de Carbonnaux lui même et les dialogues de Michel Audiard. C'est une histoire qui tenait particulèrement à coeur à Carbonnaux, puisque pour faire "Courte tête" il a refusé de tourner "Cette sacrée gamine..." avec Brigitte Bardot, qui sera confié à Michel Boisrond et sera un triomphe commercial.
L'intérêt repose surtout dans l'adaptation de Carbonnaux. Extrêmement paresseux pour l'écriture de son histoire et dans la mise au point des gags, le metteur en scène va imaginer une suite de situations où ses acteurs seront lâchés, les laisser s'y débattre, en prise avec leur propre nature, quitte à forcer la note. C'est la raison pour laquelle les dialogues d'Audiard privilégient le monologue à la conversation. Ils sont d'ailleurs assez sages. Audiard efface son style pour laisser le champ libre à celui de Carbonnaux. Le style cabaret amené par les comédiens est alors confronté à la réalité imposée par le metteur en scène, et cette dernière s'en trouve dépaysée :
Fernand Gravey est un escroc et doit sans arrêt se débattre face aux natures des personnages qu'il rencontre et qui font aller ses plans de travers, tout en gardant son assurance et son élégance. Il lutte sans cesse pour intérioriser sa frustration.
Jacques Duby doit se faire passer pour un jockey émérite, il mime une course à cheval, à califourchon sur un tabouret.
Jean Richard est celui qu'on va plumer. Il est le riche provincial venu visiter Paris. Il est un homme du monde embarqué dans un milieu qu'il ne maîtrise pas. Il se débat dans sa naïveté, son obsession pour les femmes, sa luxure, à tel point qu'à la fin il en est récompensé.
Micheline Dax est une femme qui se veut pleine d'assurance et émancipée, pourtant elle n'est qu'objet de convoitise dans ce monde d'homme. Elle s'y débat, elle force la note avec la drôlerie qu'on lui connait.
Darry Cowl est un maître d'hôtel myope et envahissant, Max Révol un ancien général non moins envahissant. Ils ne font que passer et pourtant, en envahissant l'espace des acteurs principaux, créent plusieurs situations où ces derniers se retrouvent à nouveau forcés de dépayser leur nature.
Louis de Funès, au sommet de sa longue carrière de second rôle, est le petit escroc typique. Il se déguise en prêtre, en colonel, en garçon d'écurie. Pourtant, réveillé à six heure un matin après une terrible cuite, la bouche pâteuse, son visage exprime en une seconde tout son ressenti contre la petite vie de malfrat que le sort lui a réservé.
Bref, si Carbonnaux ne signe pas un chef d'œuvre, c'est une habile comédie avec une certaine audace. Il est l'un des rares en son temps, avec Tati, Joffé, Rim, à avoir accordé un tel traitement à un genre considéré comme le parent pauvre du cinéma français.